Qu’est-ce qui vous a encore frappé en Chine ?

Mille choses. J’avais la sensation tous les matins lorsque je me levais qu’une nouvelle surprise allait se présenter. Nous pouvions partir dans les deux heures à Qingdao sans savoir quand nous reviendrions. En Chine, personne n’est vraiment maître de son temps. Il faut le savoir et l’accepter, sinon c’est insupportable. On y apprend la fatalité, une certaine forme d’acceptation des événements. C’est à l’inverse du fonctionnement de la Suisse, où un décalage d’une demi-heure dans un planning peut s’avérer problématique.

Vous rentrez ensuite en Suisse préparer votre diplôme, vous gagnez le concours Europan dans la foulée et vous démarrez deux chantiers en France. La Chine n’était-elle qu’une parenthèse ?

Non pas du tout puisque notre travail de diplôme que nous avons conçu et soutenu ensemble, Francis et moi, se présentait sous la forme d’un projet de monument éphémère imaginé en réaction à la destruction de certains quartiers localisés sur le futur site de l’Exposition 2010 à Shanghai. Nous avons toujours essayé d’établir un lien en connexion avec le site, avec son histoire quel que soit le pays. C’est dans cette optique, que nous avons remporté le concours Europan en 2007, sur le site suisse de Moudon, une zone urbaine en milieu rural, et que nous avons également effectué la réhabilitation de deux maisons de village dans la Drôme. C’est certain que les conditions de travail varient d’un pays à l’autre mais en termes d’exigence et de résultat, nous procédons de la même manière partout dans le monde.

Quand repartez-vous en Chine ?

Nous avions terminé le chantier de ces deux maisons fin 2007. En 2008, en février, nous sommes revenus en Chine travailler chez Madaspam, une agence très connue en Chine. Nous étions partis dans l’idée de ne travailler que dans des structures chinoises. A Shanghai, nous avons retrouvé Fang Wei-Yi, un architecte chinois qui avait effectué ses études à l’EPFL. Il venait tout juste de s’associer avec Feng Yang, un architecte qui avait suivi ses études en France. Ils se complétaient très bien, le premier étant l’organisateur, pragmatique, et le second, l’intellectuel, très cultivé. Ils avaient trouvé un local, réglé les procédures administratives nécessaires à la fondation d’Archiplein, et souhaitaient nous impliquer dans cette belle aventure. Nous avons accepté, mais je soupçonne fort Fang Wei-Yi de l’avoir anticipé bien avant nous. Pendant quatre ans, nous avons travaillé ensemble à Shanghai.

Comment était réparti le travail chez Archiplein ?

Tout était à faire. D’une part, il fallait mettre en place tous les éléments relatifs à la communication d’Archiplein : établir une charte graphique, un book, son site internet. D’autre part, nous devions réfléchir à une stratégie commune de développement. Nous ne souhaitions pas nous concentrer sur une clientèle internationale, car ce qui nous intéressait c’était de travailler au sein du contexte local chinois. Feng Yang avait beaucoup de contacts dans les institutions chinoises. Il passait beaucoup de temps à discuter avec eux, à les rencontrer, à parler de notre agence. Fang Wei-Yi  s’était constitué un réseau de clients privés. De notre côté, nous avions maintenu des contacts privilégiés avec l’Institut de Tongji, et grâce à cela, nous avons souvent été invités à des concours et à des projets urbains.

N’avez-vous principalement fait que de la conception, comme nombre d’architectes étrangers en Chine, ou avez-vous pu réaliser des projets dans leur intégralité ?

Nous avons conçu cinquante-sept projets en 4 ans. Tous ne sont pas construits, bien entendu. J’aimerais cependant en évoquer deux car ils me semblent tout à fait symptomatiques du mode de fonctionnement architectural chinois. Le premier projet nous a été confié par l’intermédiaire de Fang Wei-Yi. Il s’agissait d’un ensemble de 17000m2 comprenant des bureaux et un hôtel à Kunshan qu’il a fallu concevoir en une quinzaine de jours sinon le client perdait sa parcelle. Une fois le projet rendu, nous n’avons plus reçu aucune nouvelle. Un an après, une entreprise nous appelle pour nous poser une question sur les fondations. C’est comme cela que nous avons découvert que le projet était en train d’être construit. Du coup, nous avons travaillé comme des dingues pour redessiner tous les détails. L’entreprise locale n’était pas très compétente techniquement. Nous avons alors élaboré des effets de volume, afin de simplifier et limiter les détails. Notre projet est plutôt réussi, malgré les contraintes. Je me félicite encore de la stratégie que nous avons adoptée pour que le projet soit performant malgré un contexte peu favorable.
L’autre projet c’était un refuge de montagne à Tianzhushan, un des derniers parcs naturels chinois, situé dans une zone très contrôlée par les associations de sauvegarde de la nature et du patrimoine. En tant qu’architecte en Chine, nous sommes payés au nombre de mètres carré réalisé. Or, pour ce projet, nous avons demandé au client de réduire le nombre de mètres carrés par quatre. En effet, placer 4000m2 à flanc de montagne nous semblait être une hérésie. Pour les architectes du cru, nous étions dingues d’accepter de perdre autant d’argent. Petit à petit, nous avons cependant pu arriver au résultat que l’on souhaitait. En Chine, la brique enduite est largement majoritaire. Nous avons utilisé du béton banché, coulé par des ingénieurs que l’on a rémunérés avec nos honoraires. Au final, le projet est vraiment réussi, mais c’est vrai qu’il n’est pas rentable pour nous, les architectes. C’est un problème récurrent en Chine et cela commence à l’être ailleurs dans le monde. Les maîtres d’ouvrage doivent prendre conscience que la qualité reste une stratégie gagnante à long terme, mais la majorité des décideurs ont une vision très restreinte dans le temps.

Vous êtes rentrés en Suisse en septembre 2011, quels sont vos nouveaux projets ?

Je me suis inscrite en thèse de doctorat à l’EPFL, et j’y ai été embauchée comme collaboratrice scientifique ce qui me permet de d’exploiter toutes les facettes de mon expérience acquise en Chine. Il faut dire qu’avoir fondé sa propre agence, ça change tout. On connaît l’ensemble du processus architectural. Nous avons déjà donné une dizaine de conférences sur le sujet. C’est en décrivant cette expérience que je me suis rendue compte qu’une thèse me serait vraiment utile pour devenir une vraie spécialiste de la Chine, pas juste quelqu’un qui a des anecdotes surprenantes à raconter.

Qu’en est-il pour Francis ?

Francis est inscrit à l’école de Chaillot à Paris, il s’intéresse particulièrement à la réhabilitation des sites industriels en Chine. Il souhaite se former de façon plus approfondie sur les questions du patrimoine, car à terme en Chine, dans ce domaine, il existe vraiment du potentiel.

Archiplein a-t-il un avenir en Europe ?

Archiplein a un avenir en Chine, en Suisse et en France ! Nous avons ouvert Archiplein suisse à Genève, près de la France, pour répondre à des projets dans les deux pays. En Chine, un troisième associé Wang Ming-Bo, a rejoint l’équipe, et la structure continue à y développer ses activités. Nous retournerons très souvent en Chine, c’est certain. Mais je pense que nous avons opté pour un mode de vie européen. Il est difficile de s’en rendre compte, mais rien que le climat en Europe fait de nous des privilégiés.


Une Passion ?

L’architecture sous toutes ses formes

Vos sources d’inspiration ?

Tout ce qui est susceptible de nourrir un projet

La Chine pour vous c’est…

Le pays de l’imprévu

Et la suite…

Terminer ma thèse de doctorat, et continuer à développer les activités d’Archiplein