Le Petit Palais nous propose une exposition autour de la figure d’Ambroise Vollard, un éditeur d’estampes et de livres illustrés de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Il a non seulement contribué au renouveau de l’art de l’estampe mais il a également favorisé la reconnaissance d’artistes tels que Cézanne, Toulouse-Lautrec ou Gauguin. Son successeur Henri Petiet, qui a racheté son fonds à sa mort, est également présenté dans  l’exposition. L’hommage rendu ainsi à cette personnalité méconnue est d’autant plus  justifiée qu’Ambroise Vollard et ses héritiers ont fait des dons et des legs qui ont enrichis  les collections du Petit Palais.  

Le parcours de l’exposition suit une logique chronologique des débuts de Vollard à la  reprise de son activité par Petiet, mais est organisé de façon thématique.

La première partie nous présente Ambroise Vollard. Fils de notaire, il arrive à Paris en  1887 depuis la Réunion pour faire ses études de droit. Il délaisse petit à petit l’université  pour se lancer dans le commerce d’art, en travaillant à la galerie L’Union artistique. Il  s’installe ensuite à son compte et déménage sa galerie au gré des succès et des bonnes  affaires pour se rapprocher des marchands de tableaux les plus en vue. 

Vollard achète des toiles, voire des fonds entiers d’atelier à des artistes qui débutent et qui  ne sont pas encore connus. Il leur assure des revenus et fait un pari sur leur fortune à  venir. Il a ainsi assuré la sécurité matérielle du jeune Picasso ou de Derain et a pu revendre  ensuite leurs œuvres avec un bénéfice non négligeable. Vollard organise ainsi entre autres,  une exposition d’œuvres de Cézanne en 1895, époque où le marché de l’art ne s’intéressait  pas encore à lui. Il lui achète plusieurs toiles qu’il écoulera au compte goutte quand la cote  de l’artiste s’envolera après sa mort.  

Pourtant déjà le jeune Vollard a une sensibilité qui le pousse vers les arts graphiques et  l’estampe. Il achète et revend des tirages et surtout il expose et prête ses œuvres dans  l’Europe entière et même jusqu’aux Etats-Unis. Loin des prises de position conservatrices  du Salon officiel, il contribue à diffuser un art autre que l’art académique.

La deuxième partie de l’exposition s’intéresse tout particulièrement à l’activité de Vollard,  en tant qu’éditeur d’estampes. En 1894, le marchand commande sa première édition  d’estampes en faisant rééditer la suite Volpini de Gauguin qui illustrent des vues de  Bretagne. De 1896 à 1900, Vollard va privilégier l’édition d’estampes originales. Les  bénéfices de ses ventes de tableaux sont réinvestis dans son activité d’édition. 

Il publie deux albums qui sont de véritables condensés de la création de leur époque: Les peintres graveurs en 1896, puis L’album d’estampes originales de la galerie Vollard en  1897. Il ne sélectionne pas de graveurs de profession mais encourage ses amis peintres à  proposer des oeuvres pour l’estampe. En fin commerçant, il est convaincu que la  réputation d’artistes connus ou dont le nom commence à s’imposer sur la place publique,  donnera envie aux amateurs de s’intéresser à l’art de l’estampe et d’acquérir les tirages  limités et signés qu’il édite. Vollard veut porter l’estampe au rang d’oeuvre d’art et la  distinguer de la reproduction en série mécanique. Il diversifie ainsi non seulement les  artistes, mais également les techniques pour offrir un panorama varié d’oeuvres, de styles  et de rendus. Les expositions qui accompagnent le lancement des ouvrages sont des succès.  Cependant les deux albums sont des échecs commerciaux et le troisième volume  longtemps envisagé ne verra jamais le jour. 

Ces recueils contribuent pourtant à assoir sa réputation dans le monde de l’estampe. La défense de cet art et la mise en valeur de la lithographie en couleur, pratique dédaignée car  assimilé à la publicité, ne sont pas passés inaperçus. Les Nabis notamment sont férus de  cette technique et sont sensibles à la revalorisation que Vollard effectue. Ces artistes  d’avant-garde, Maurice Denis, Pierre Bonnard, Paul Sérusier ou Ker-Xavier Roussel  fréquentent la galerie Vollard.

S’il renonce aux albums généraux, Vollard édite des albums individuels, d’artistes dont il  apprécie le travail: Amour de Maurice Denis qui retrace le coup de foudre pour sa femme,  Quelques aspects de la vie de Paris de Pierre Bonnard qui détaille le fourmillement  incessant des rues de la capitale, Paysages et intérieurs d’Edouard Vuillard qui met en  scène la mère de l’artiste. Celui de Ker-Xavier Roussel, Paysages ne sera jamais achevé.  Les artistes en lien avec Ambroise Vollard leur éditeur et avec Auguste Clot le lithographe  attitré, expérimentent et s’amusent des possibilités techniques, chromatiques et formelles  de la lithographie en couleurs.  

Ambroise Vollard pousse ses artistes dans leurs retranchements, il conseille à plusieurs  d’entre eux de s’essayer, non seulement à l’estampe mais aussi à la sculpture et à la céramique. Il fait la connaissance d’un maître céramique et tous deux vont convaincre les  artistes du début du XXème siècle du potentiel de la peinture sur céramique. Matisse,  Vlaminck, Maillol notamment vont collaborer avec le céramiste André Metthey et s’essayer  à ce nouveau médium avec les encouragements de Vollard.

Vollard édite par ailleurs des estampes à la feuille, sans qu’elles fassent parties d’un recueil  plus conséquent, de peintres dont il vend les toiles, comme Cézanne ou Renoir. Cependant  l’édition d’estampes l’occupe essentiellement au début de sa carrière, il se consacre ensuite  pleinement à l’édition de livres d’artistes. 

C’est l’objet de la troisième section de l’exposition. La production industrielle permet au  livre d’être imprimé en plus grand nombre et donc d’être de plus en plus facilement  accessible. Vollard va de nouveau aller à contre courant et proposer des éditions  d’ouvrages en série limitée à 200 ou 400 exemplaires. Il vise une clientèle aisée et élitiste.  En 1900, il édite Parallèlement de Verlaine, illustré par Bonnard. C’est l’un de ses premiers  gros projets. Déjà nous notons l’amour des beaux papiers, la recherche typographique, le  choix exigeant du circuit d’impression et surtout la préséance de l’image sur le texte. Il ne  s’agit plus d’un livre, mais d’une « succession de tableaux » selon les mots de Vollard. Il  réussit à réunir le texte d’un auteur avec le peintre adéquat en donnant l’impression d’une  création commune, d’une oeuvre à part entière. Il varie les styles et les auteurs. Il fait des  choix audacieux et d’autres plus conventionnels, sans doute pour s’assurer la clientèle des  bibliophiles. L’exposition est l’occasion de découvrir ses projets d’artiste souvent  méconnus, tels que l’illustration de Dingo d’Octave Mirbeau par Pierre Bonnard, la  collaboration de Stéphane Mallarmé et d’Odilon Redon pour Un coup de dés n’abolira  jamais le hasard, qui sera interrompue par le décès du poète, ou encore le Jardin des  supplices d’Octave Mirbeau par Auguste Rodin. 

De nombreux projets sont présentés. Les choix illustrent l’ambiguïté du projet de Vollard  qui révolutionne le livre d’artiste mais qui veille à ne pas trop choquer les bibliophiles  conservateurs pour pouvoir assurer le succès de ses éditions. Les artistes dont Vollard  s’entourent ne sont pas des illustrateurs de profession, mais ceux dont il apprécie le travail  en peinture. Il privilégie la lithographie, même si elle est assimilée à une technique  commerciale quasiment vulgaire. Ses choix éditoriaux choquent régulièrement,  notamment lorsqu’il choisit des auteurs sulfureux. Mais il sait également produire des  livres illustrés par des bois gravés, technique préférée des bibliophiles; il sélectionne des  textes moins transgressifs. Sa réputation le rend toutefois persona non grata dans les  bibliothèques des plus puristes. Cependant la qualité et la quantité des éditions Vollard  sont telles qu’elles deviennent incontournables.  

S’il arrête d’organiser des expositions dans sa galerie à chaque lancement d’ouvrage, il  prête beaucoup d’estampes, notamment à des institutions étrangères. Son apport à la  scène artistique du début XXème est indiscutable. Il dépense des sommes considérables  pour ses éditions, que la vente de tableaux n’équilibrent pas toujours. Si son activité est un  échec commercial, la reconnaissance internationale est forte. Les dernières années,  notamment les années 30 grâce à la publication de nouveaux artistes et à un renouveau du  milieu bibliophile sont plus rentables sur le plan financier. 

Son soutien aux artistes et son rôle de premier plan lui ont permis d’impacter l’histoire de  l’art du XXème siècle, mais également l’historiographie. En effet, il publie des textes qui  évoquent ses souvenirs de Renoir, Degas, Cézanne, etc. Il écrit également des pièces de  théâtre qui ne seront jamais jouées, mais qui sont encore un exemple de ses activités  multiples.

Ambroise Vollard décède en 1939 dans un accident de voiture. Sa disparition soudaine  interrompt la production d’une vingtaine de livres d’artiste. Le dernier testament du  marchand date de 1911. Cependant entre temps, il a continué à acquérir des oeuvres de  maîtres: entre projets éditoriaux en cours et toiles reconnues, sa fortune est difficile à  estimer. Son frère aidé par un marchand tente d’aider les artistes à achever leurs projets en  cours. Le fonds d’estampes est racheté en intégralité par Henri Marie Petiet qui prend sa suite et commercialise la Suite Vollard de Picasso. 

Henri Marie Petiet vient d’une famille d’ingénieurs et d’industriels et comme Ambroise  Vollard il n’était pas destiné à tomber dans l’estampe. Il ouvre un magasin à Paris, A la belle épreuve. Il s’intéresse tout d’abord aux livres de luxe. Son goût pour l’illustration  l’entraîne alors vers l’estampe. C’est auprès d’Ambroise Vollard qu’il affine sa sensibilité et  fait ses premières acquisitions. Comme son mentor, il prend plaisir à encourager la  création et soutient des artistes dans leurs aventures éditoriales. Cela sera le cas de Marie  Laurencin, Jean-Emile Laboureur ou encore André Dunoyer de Segonzac. L’acquisition du  fonds d’estampes de Vollard à la mort de ce dernier lui assure une renommée dans le  milieu de l’édition à un niveau international. Il se rend à plusieurs reprises aux Etats-Unis  et les oeuvres qu’il cède à des institutions américaines contribuent à renforcer la présence  d’artistes français outre-Atlantique.  

La visite de l’exposition nous permet de voir des oeuvres d’artistes majeures de la fin du  XIXème siècle et du début du XXème, rassemblées par le goût d’Ambroise Vollard. Picasso  disait: « La plus belle femme du monde n’a jamais eu son portrait, peint dessiné ou gravé  plus souvent que Vollard: par Cézanne, Renoir, Rouault, Bonnard, Forain ».  

L’exposition est également l’occasion de (re)découvrir les techniques des arts graphiques  avec une attention toute particulière portée à la médiation et aux explications sur les  différents procédés. Des feuilletons numériques permettent de consulter toutes les feuilles  des ouvrages. Nous réalisons notre chance de pouvoir admirer autant d’éditions originales. 

L’exposition se visite comme on écoute une histoire, accompagné de ces deux figures  attachantes que sont Ambroise Vollard et Henri Marie Petiet. Nous réalisons tout ce que les prises de risque continuelles et le goût sûr du premier ont apporté à l’histoire de l’art.  Le monde des marchands d’art nous apparaît moins mercantile, porté par la passion et les  convictions de ces deux hommes.

Editions limitées, Vollard, Pétiet et l’estampe de maîtres au Petit  Palais jusqu’au 29 août.

Liste des oeuvres:  

1) Portrait d’Ambroise Vollard, Paul Cézanne, 1899, Petit Palais, Paris  

2) Portrait d’Henri Marie Petiet, Marcel Gromaire, 1931, collection particulière  

3) La Toilette de la mère, Pablo Picasso, 1905, musée d’art moderne, Paris  

4) Portrait d’Ambroise Vollard, Jean-Louis Forain, 1905, Petit Palais, Paris  

5) La petite blanchisseuse, Pierre Bonnard, 1896, INHA, Paris  

6) Le Premier janvier, Félix Vallotton, 1896, INHA, Paris  

7) Etude de femmes nues, Charles Maurin, 1896, INHA, Paris  

8) Les drames de la mer, Paul Gauguin, 1889, Petit Palais, Paris  

9) La lithographie, Henri de Toulouse Lautrec, 1893, Petit Palais, Paris  

10) La fête au village, Jpsef Rippl-Ronai, 1896, INHA, Paris  

11) Le soir, Edvard Munch, 189§, INHA, Paris  

12) Les petites machines à écrire, René Georges Hermann Paul, 1896, INHA, Paris  

13) Intérieur aux tentures roses, Edouard Vuillard, 1899, Petit Palais, Paris  

14) Maison dans la cour, Pierre Bonnard, 1899, Petit Palais, Paris  

15) Deux baigneuses, Ker-Xavier Roussel, 1900, Petit Palais, Paris  

16) Les crépuscules ont une douceur d’ancienne peinture, Maurice Denis, 1899, Petit Palais, Paris 

17) Grande potiche à fond blanc au décor bleu et jaune, Pierre Laprade, 1903, Petit Palais, Paris 

18) La ronde des enfants, Mary Cassat, 1903, Petit Palais, Paris  

19) Les trois Grâces, Louis Valtat, 1908, Petit Palais, Paris  

20) Les Baigneuses, Paul Cézanne, 1896, collection particulière  

21) Baigneuse debout en pied, Auguste Renoir, 1896, INHA, Paris  

22) La Tentation de Saint Antoine, Odilon Redon, 1896, Petit Palais, Paris  

23) Le jardin des supplices, Auguste Rodin, 1902, INHA, Paris  

24) Un coup de dés n’abolira jamais le hasard, Odilon Redon, 1897, BNF, Paris  

25) Les Fleurs du mal, Emile Bernard, 1916, Petit Palais, Paris  

26) Cirque de l’étoile filante, Georges Rouault, 1935, musée d’art moderne, Paris  

27) Orphée et Eurydice, Emile Bernard, 1915, BNF, Paris  

28) Sagesse, Maurice Denis, 1909, collection J.B.  

29) Fables de La Fontaine, Marc Chagall, 1927, collection particulière  

30) La Vague, Aristide Maillol, 1895, Petit Palais, Paris  

31) La Vague, Aristide Maillol, 1898, Petit Palais, Paris  

32) Estampes de la Suite Vollard, Pablo Picasso, 1933, musée d’art moderne, Paris  

33) Estampes de la Suite Vollard, Pablo Picasso, 1933, musée d’art moderne, Paris  

34) Estampes de la Suite Vollard, Pablo Picasso, 1933, musée d’art moderne, Paris  

35) L’Ange bleu, Marie Laurencin, 1931, Petit Palais, Paris  

36) Les oiseaux chassés du ciel, Edouard Goerg, 1938, Petit Palais, Paris  

37) Etude de nus, Suzanne Valadon, 1896, INHA, Paris  

38) Jeanne allaitant son enfant, Mary Cassatt, Petit Palais, Paris  

39) Hélène chez Archimède, Pablo Picasso, 1931, BNF, Paris  

40) Portrait d’Ambroise Vollard au chat, Pierre Bonnard, 1924, Petit Palais, Paris

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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