Quand l’Art rencontre la neurobiologie
Le peintre Guillaume Bottazzi vient de poser la touche finale à un tableau de 144m², visible depuis la Grande Arche. Cette œuvre jouxte le stadium…
Le Petit Palais de Paris nous plonge dans le Danemark du XIXème siècle, avec plus de 200 oeuvres rassemblées dans ses murs. La période mise en valeur, et qualifiée d’Âge d’or, désigne quelques décennies seulement, de 1801 à 1864, pendant lesquelles l’effervescence artistique est remarquable. Étonnamment à cette époque le pays traverse une crise non seulement économique mais également commerciale et maritime. La flotte nationale est détruite au tout début du siècle et Copenhague est bombardée par les Anglais en 1807. En 1813, le pays est déclaré en faillite et doit renoncer à la Norvège au profit de la Suède. Si le début de l’Âge d’or est marqué par une défaite, la fin de cette période, faste pour les arts, n’est pas placée sous de meilleures augures puisqu’en 1864 le Danemark doit renoncer à deux duchés, le Schleswig et le Holstein suite à la défaite contre la Prusse.
Pourtant entre ces deux dates désastreuses, le pays connaît réellement un épanouissement culturel et artistique sans précédents. Une harmonie et une synergie communes animent les écrivains, les artistes et les scientifiques. L’émergence d’une bourgeoisie commerçante et issue de l’industrie, permet aux artistes d’acquérir un nouveau statut en leur assurant de pouvoir compter sur des acheteurs réguliers qui se substituent aux commandes de l’Etat. La toute jeune Académie royale permet une reconnaissance de la profession d’artiste. La vie culturelle est en plein essor, les lieux d’exposition se multiplient. Les artistes souhaitent participer à l’élaboration de l’image de la nation danoise, forte et unie.
Le parcours de l’exposition est thématique et a à coeur de dresser en sept parties le panorama de cet art danois en construction tout en s’intéressant au contexte politique et social. La scénographie est très soignée, les couleurs des murs faisant écho avec celles des tableaux. Des dispositifs pédagogiques rythment la visite, dans la mesure des possibilités sanitaires et les oeuvres sont pratiquement toutes accompagnées d’un cartel développé.
L’exposition commence par nous présenter celui grâce à qui le vent de renouveau souffle au Danemark, Christoffer Eckersberg. Le peintre obtient la médaille d’or de l’Académie des beaux-arts ce qui lui permet de voyager en Europe. Il part tout d’abord en France en 1810 et étudie dans l’atelier de Jacques-Louis David. Il se familiarise alors avec l’étude du modèle vivant. En 1813, il rejoint son célèbre compatriote, le sculpteur Bertel Thorvaldsen à Rome. Eckersberg s’initie en Italie à la peinture en plein air, où il s’amuse à saisir l’instantanéité des sujets et les contrastes d’ombre et de lumière. A son retour à Copenhague, il devient professeur à l’Académie des beaux-arts avant d’en être le directeur à partir de 1827. Les tableaux et études qu’il rapporte dans ses valises marquent profondément les jeunes générations. Il autorise aussi l’étude de nus féminins à l’Académie. Il encourage ses élèves à peindre d’après nature en les emmenant dans les environs de la capitale. Eckersberg, de formation néoclassique, pose les jalons d’une approche naturaliste dans l’art danois. Son héritage sera décisif pour les artistes de la génération suivante.
La deuxième section s’intéresse au cadre de la pratique artistique, qui va être amené à évoluer durant la période. Au début du XIXème siècle, l’Académie des beaux-arts, fondée en 1754 concentre toute la création. Seul le passage entre ses murs permettait de se revendiquer artiste et de se présenter auprès de collectionneurs et de clients. Les garçons étaient admis vers 12 ans environ, les filles n’étaient pas autorisées à postuler. Les élèves s’exerçaient au dessin d’après des estampes et des sculptures. Avant la réforme d’Eckersberg, les cours de peinture étaient réservés à ceux qui pouvaient payer des sessions privées. Au fil du siècle, le statut de l’artiste évolue, et l’Académie perd de son influence. L’atelier devient le lieu incontournable de création, symbole d’une liberté plus importante.
Un autre bouleversement majeur concerne les commanditaires. Au début du siècle, la maison du roi était le principal collectionneur d’oeuvres et les goûts royaux influençaient de fait la création. Mais après la faillite de l’Etat en 1813, les bourgeois, principalement des commerçants et hauts fonctionnaires, sont la classe la plus prospère : ceux sont eux qui vont redresser l’économie du pays. Pour décorer leurs intérieurs, ils préfèrent passer commande d’oeuvres de petites dimensions et apprécient particulièrement les portraits individuels ou de famille. Les représentations d’enfants sont alors un art à part entière qui fait écho aux réflexions sur l’enfant en tant que citoyen et aux écrits de Jean-Jacques Rousseau. Les scènes d’intérieurs sont également très appréciées de ce public bourgeois. L’intimité domestique et l’importance du foyer sont fondamentaux et en 1849, le droit à la vie privée est ainsi inscrit dans la Constitution danoise.
La suite de l’exposition s’intéresse aux voyages qu’effectuent les artistes. Ceux qui obtenaient la médaille d’or de l’Académie recevaient une bourse pour partir à l’étranger. Le plus souvent ils choisissaient l’Italie, attirés par les vestiges antiques et l’art de la Renaissance. Comme la plupart des peintres européens présents à Rome, ils s’amusaient également à représenter des scènes de rue ou de tavernes, qui rencontraient un fort succès auprès des collectionneurs. A partir de 1830, la guerre d’indépendance grecque créé un intérêt pour la Grèce et pour l’Orient de façon plus générale. La Turquie, l’Algérie, l’Egypte attirent les jeunes artistes avant que le courant nationaliste, renforcée par les tensions avec l’Allemagne ne favorise un repli sur des sujets scandinaves.
Au-delà de l’effervescence artistique, l’Âge d’or danois se manifeste également par des échanges entre les scientifiques, les écrivains et les artistes. Ces derniers fréquentent les cabinets de botanistes ou suivent des conférences de chimistes, notamment celles de Hans Christian Ørsted qui a démontré un lien entre la topographie géologique d’une nation et les caractéristiques de sa population. Durant tout le XIXème siècle, des expéditions scientifiques permettent de mieux connaître la planète, sa géographie et son histoire. Cet intérêt transparaît en peinture avec une attention notable à la diversité de la végétation et aux variations météorologiques.
La pratique de la peinture en plein air favorise ce nouveau regard sur la nature. La rapidité d’exécution et le rendu de la lumière naturelle apportent une impression de légèreté et d’instantanéité aux oeuvres. Libérés du carcan de l’Académie, les jeunes artistes renouvellent leurs sujets. La perspective et les cadrages se font plus audacieux. Les paysages de cette époque fixent pour longtemps une représentation idéalisée du Danemark, composée de forêts de hêtres verts, de champs de blés, de fjords, et de landes sauvages… La représentation de la beauté de la nature danoise s’impose pour certains comme un manifeste face à l’industrialisation.
La fin de ce parcours thématique, est justement consacrée à la vie quotidienne dans les villes. Les artistes s’amusent à représenter le foisonnement des activités commerciales, notamment sur les quais de Copenhague. Des évènements anodins comme un déménagement ou une vente publique sont immortalisés et magnifiés par la peinture.
A partir du milieu du siècle, le Danemark est de plus en plus connecté au monde extérieur notamment grâce au développement du chemin de fer et de la presse écrite. Certains artistes se réfugient alors dans des oeuvres empreintes de nostalgie, luttant contre les mouvements du progrès. Au même moment le nationaliste et le libéralisme montent en Europe. Le duché de Schleswig, au sud du Danemark, soutenu par la confédération germanique revendique son indépendance. Deux conflits entre nationalistes et séparatistes aboutiront à la perte du duché ainsi qu’à celle de celui de Holstein; ils sont alors administrés par la Prusse. Ces conflits favorisent le retour de la peinture d’histoire, qui prône les vertus patriotiques alors que les frémissements de l’art moderne se font sentir. La sérénité de l’Âge d’or danois, ses paysages apaisés et ses douces scènes d’intérieur appartiennent à un temps révolu.
Tout au long de l’exposition, nous découvrons une génération d’artistes, dont les noms sont rarement connus en France. Nous saisissons pourtant facilement leurs caractéristiques propres, leurs influences mutuelles, les échanges entre disciplines. Nous percevons la dynamique de ce microcosme entre artistes, scientifiques, et commanditaires évoluant dans la même société érudite. Des portraits officiels aux intérieurs bourgeois, des paysages danois aux scènes de vie quotidienne à Copenhague, des études de fleurs aux scènes de rue romaines, nous retrouvons une lumière douce et apaisante, des couleurs épurées, un dessin minutieux, des cadrages souvent atypiques et surprenants ainsi qu’un goût du détail délicat.
Si les sujets sont divers, leur traitement est homogène, à la fois noble et simple, poétique et prosaïque. Les oeuvres qui se répondent entre elles au travers des salles du Petit Palais, répandent une atmosphère de nostalgie apaisée et de sérénité maîtrisée.
L’Âge d’or de la peinture danoise au Petit-Palais jusqu’au 17 janvier 2021.
Liste des oeuvres:
cover : Vue du lac Sortedam, Christen Købke, 1838, Statens Museum for Kunst, Copenhague
1) Larsens Plads à Copenhague, Carl Dahl, 1840, Thorvaldsens Museum, Copenhague
2) Le château de Frederiksborg vu de Jaeggerbakken, Christen Købke, 1835, collection Hirschprung, Copenhague
3) Un berger du Jutland sur la lande, Thomas Vermehren, 1855, Statens Museum for Kunst, Copenhague
4) Bateaux dans un fjord, Thorald Laessøe, 1850, Nationalmuseum Stockholm
5) Una Ciociara. Portrait d’une paysanne de la campagne romaine, Christoffer Wilhelm Eckersberg, 1816, Nationalmuseum Stockholm
6) Femme tressant ses cheveux, Ludvig August Smith, 1839, Nationalmuseum Stockholm
7) Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, Christoffer Wilhelm Eckersberg, 1815, Statens Museum for Kunst, Copenhague
8) La collection de plâtres de Charlottenborg, Christen Købke, 1830, collection Hirschprung, Copenhague
9) Un sculpteur travaillant d’après modèle vivant, Wilhelm Bendz, 1827, Statens Museum for Kunst, Copenhague
10) Autoportrait, Elisabeth Jerichau-Baumann, 1848, Museum for Kunst & Visuel Kultur, Odense
11) Meta Magdalene Hammerich et Kristiane Hansen, la fille du peintre, Constantin Hansen, 1861, Statens Museum for Kunst, Copenhague
12) Signe et Henriette Hansen, soeurs de l’artiste, Constantin Hansen, 1826, Statens Museum for Kunst, Copenhague
13) Portrait de famille, Emilius BÆrentzen, 1828, Statens Museum for Kunst, Copenhague
14) Une petite fille, Elise Købke, Constantin Hansen, 1850, Statens Museum for Kunst, Copenhague
15) Une falaise à Capri, August Wilhelm Boesen, 1845, Statens Museum for Kunst, Copenhague
16) Un jeune pêcheur à Capri, Christen Købke, 1839, Nationalmuseum Stockholm
17) Vue de la campagne romaine, Martinus Rørbye, 1835, Konstmuseum Göteborg
18) Scène de rue à Rome, Albert Küchler, 1833, Statens Museum for Kunst, Copenhague
19) Loggia à Procida, Martinus Rørbye, 1835, Nationalmuseum Stockholm
20) Etude de nuages et de cime d’arbre, Peter Christian Skovgaard, 1840, Museum for Kunst & Visuel Kultur, Odense
21) Vase grec avec iris, lilas et chèvrefeuille, Hermania Neergaard, 1831, collection Hirschprung, Copenhague
22) Corbeille avec des roses et d’autres fleurs, Otto Diderich Ottesen, 1869, Kunstmuseum, Aarhus
23) Vue depuis la citadelle, côté nord, Christen Købke, 1834, Glyptotek, Copenhague
24) Une des petites tours du château de Frederiksborg, 1834, Christen Købke, Designemuseum, Copenhague
25) Langebro au clair de lune avec des personnages qui courent, Christoffer Wilhelm Eckersberg, 1836, Statens Museum for Kunst, Copenhague
26) Arrière-cour à Charlottenborg, Frederik Sødring, 1828, Statens Museum for Kunst, Copenhague
27) Vue à travers une porte avec des personnages qui courent, Christoffer Wilhelm Eckersberg, 1845, Statens Museum for Kunst, Copenhague
28) Scène champêtre, Jorgen Sonne, 1848, Statens Museum for Kunst, Copenhague
29) Une gondole, Julius Exner, 1859, Statens Museum for Kunst, Copenhague
30) Vue du grenier à blé dans la citadelle de Copenhague, Christen Købke, 1831, Statens Museum for Kunst, Copenhague
31) Vue depuis la fenêtre du peintre, Martinus Rørbye, 1825, Statens Museum for Kunst, Copenhague
32) Le fjord de Roskilde près de Frederikssund, Vilhhelm Kyhn, 1849,Statens Museum for Kunst, Copenhague
Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.
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