L’exposition Les musiques de Picasso s’intéresse à l’impact de la musique dans l’œuvre du maître espagnol. La multiplication des expositions consacrées à Picasso peut donner l’impression, à un public familier des musées, de ne plus avoir grand chose à découvrir sur cet artiste si incontournable du XXème siècle. Pourtant, la Philharmonie de Paris, dans sa volonté affirmée de mettre en valeur les liens qui unissent les disciplines artistiques, réussit à nous proposer une approche nouvelle et un contenu passionnant et pertinent.

Le parcours est chrono-thématique; il égrène en une dizaine de sections et grâce à près de 200 oeuvres de collections publiques et privées, le rapport de Pablo Picasso avec la musique ainsi que la dimension musicale de son oeuvre tout au long de sa vie. Le visiteur traverse ainsi presque soixante dix ans de la production de Picasso en butinant d’époque en époque. Un audioguide permet d’écouter la musique en lien avec chaque chapitre. Ces pistes audio apportent un éclairage inattendu aux oeuvres.

La première partie de l’exposition est consacrée aux origines espagnoles de l’artiste. Il vit en Espagne entre Malaga et Barcelone jusqu’en 1904, et s’il rejoint les avants-garde parisiennes, il restera très attaché à ses racines. Il représente régulièrement des danseuses de flamenco ou encore les chanteurs gitans de Malaga pour évoquer la tradition espagnole.

Les scènes de cabarets barcelonais, lui permettent au contraire de s’intéresser à la modernité catalane. Les corridas, rythmées par la musique, de l’entrée en scène des toréadors sur une musique de paso double, jusqu’à la mise à mort du taureau et aux harangues de la foule sont également un de ses sujets favoris.

C’est en 1900 que Picasso découvre Paris pour la première fois à l’occasion de l’Exposition Universelle. Lorsqu’il s’y installe définitivement en 1904, il choisit sciemment le quartier de Montmartre, fréquenté par de nombreux Catalans. Il mène une vie de bohème entre tavernes, café-concerts et salles de spectacle. La musique est alors populaire; l’accordéon, la guitare et les violons sont les instruments incontournables. Les croquis de danseuses de cancan rappellent ceux des artistes de la fin du XIXème siècle et évoquent cette même ambiance frivole et survoltée.

A cette époque, Picasso fréquente également le cirque Médrano. Un orchestre jouait pendant les numéros des musiques à la mode. La figure du saltimbanque s’impose comme un alter-égo pour le peintre. Il le représente souvent, mélancolique, portant un instrument sans nécessairement en jouer.

Au fur et à mesure des dessins et des peintures, les instruments de musique, finissent par exister sans musicien. Ils deviennent le sujet principal de l’oeuvre. C’est en s’appuyant sur eux que Picasso va développer son vocabulaire cubiste. De 1909 à 1915, il décline violons, guitares et mandolines sur tout support et grâce à différentes techniques pour atteindre l’essence même de ses théories cubistes. La mandoline est alors un instrument très à la mode. Si le violon s’inscrit dans la tradition savante, il fait référence chez Picasso aux musiciens de rue ou de cirque et au Montmartre ouvrier. Picasso s’amuse de ses arabesques et de ses ouïes graphiques si reconnaissables pour tenter des représentations quasiment illusionnistes. La guitare quant à elle renvoie à ses origines espagnoles; Picasso en apprécie les courbes et expérimente le rendu du volume cubiste par ce biais. Peints, dessinés, ou assemblés, les instruments sont de plus en plus difficilement lisibles.

Entre 1917 et 1924, Picasso collabore à plusieurs reprises avec les Ballets russes dirigés par Serge Diaghilev. Il s’amuse alors au concept d’oeuvre total et signe le rideau de scène, les costumes et les décors de plusieurs productions. Il côtoie et travaille avec les plus grands compositeurs, Erik Satie, Igor Stravinski ou Manuel de Falla. L’exposition met en valeur plusieurs productions: Parade, Pulcinella et Mercure notamment. La mort de Satie, puis sa rupture avec sa femme, la danseuse Olga Khokhlova, l’éloigne des ballets.

La musique se trouve aussi dans la poésie. Picasso était très proche de Guillaume Apollinaire. Le poète prônait le lien fort entre musicalité et poésie à l’instar des considérations antiques. Le peintre espagnol intègre ces préceptes. Il écrit des poèmes en français et en espagnol en jouant sur les allitérations, à la musicalité certaine. Il tisse un parallèle entre des partitions de musique, cartes astronomiques et des représentations de guitare.

L’exposition s’attache également à mettre en valeur les amitiés musicales de Picasso. Son mariage avec Olga Khokhlova et sa fréquentation des bals mondains de l’entre-deux guerres, le plonge dans un environnement musical intense. Jean Cocteau est l’un de ses amis proches, ainsi que le compositeur Francis Poulenc. De nombreux billets, affiches, invitations à des spectacles sont rassemblés. Si Picasso n’a pas assisté à tous ces évènements, ils témoignent de la vie culturelle intense et de l’effervescence de Paris entre les deux guerres.

Au début des années 30, Picasso s’intéresse au thème de l’aubade, issu de l’iconographie traditionnelle où un berger musicien et sa muse incarnent le mythe du bonheur pastoral. Les femmes nues, voluptueuses et sensuelles évoquent sa compagne du moment, Marie Thérèse Walter. Fidèle à son habitude, il décline le thème, le décortique, le réinvente tel un musicien qui répète, fragmente un thème et joue sur les variations.

Picasso explore également le classicisme et peuple ses oeuvres de références antiques. Il s’intéresse à la figure de Pan, aux bacchanales, aux faunes musiciens. Les oeuvres peuplées de personnages exultant semblent émettre de la musique!

L’exposition se conclut sur la représentation du peintre en tant que musicien, plus spécifiquement à la fin de sa vie. Le joueur de flûte ou de guitare devient son alter égo. L’homme de scène, celui qui attire les regards est celui qui séduit et celui qui défie le temps.

La diversité des oeuvres et documents d’archives rassemblés ici est impressionnante. Au-delà des oeuvres du maître espagnol, nous découvrons sa collection d’instruments africains et européens, des photographies d’époque, des céramiques, des costumes, des enregistrements, des cartes postales, des croquis, des invitations, …

Le son, la musique, la mélodie, le chant et voire même la poésie se retrouvent dans toute l’oeuvre de Picasso. Des premières scènes de la vie gitane aux Ballets russes, des Bacchanales aux instruments cubistes, des musiciens de cirque aux joueurs de flûte de la fin de sa vie, nous sommes accompagnés par de la musique traditionnelle, populaire, festive ou encore classique.

Les arts s’entre mêlent et les arts plastiques, la littérature, la musique et la poésie vibrent de la même énergie.

Les musiques de Picasso jusqu’au 3 janvier 2021 à la Philharmonie de Paris.

Liste des oeuvres:

1) Le chant du monde, 1956, musée national Picasso-Paris et Fundacion Almine y Bernard T-Ruiz-Picasso para el Arte
2) Les oiseaux chantent avec les doigts, Guillaume Apollinaire, 1916, musée national Picasso-Paris
3) Projet de costume pour le ballet la Tricorne, 1919, musée national Picasso-Paris
4) La femme au tambourin, 1939, musée national Picasso-Paris
5) Chanteuse, 1901, musée national Picasso Barcelone
6) Femme et guitariste, 1919, collection particulière
7) Danseuse et guitariste, 1954, musée national Picasso-Paris
8) Chanteuse de flamenco, 1899, musée national Picasso Barcelone
9) Arlequin à la guitare, 1918, Nationalgalerie Museum Berggruen
10) Danseuse de cancan, 1901, musée national Picasso Barcelone
11) Nature morte: guitare journal, verre et as de trèfle, 1914, musée national Picasso-Paris
12) Guitare sur une table, 1919, musée national Picasso-Paris
13) Guitare, 1920, collection David et Ezra Nahmad
14) Guitare, 1912, musée national Picasso-Paris
15) Ma jolie, Nationalgalerie Museum Berggruen, 1914
16) Guitare, 1912, musée national Picasso-Paris
17) Violon et feuille de musique, 1912, musée national Picasso-Paris
18) Ragtime, 1919, musée national Picasso-Paris
19) Rideau du ballet Mercure, 1924, Centre Georges Pompidou
20) Etude pour le ballet Parade, 1916, musée national Picasso-Paris
21) Guitare, 1924, musée national Picasso-Paris
22) Guitare, 1927, musée national Picasso-Paris
23) Pablo Picasso jouant de la trompette, 1957, collection particulière
24) Picasso jouant de la trompette dans les rues de Vallauris, 1954, Fundacion Almine y Bernard T-Ruiz-Picasso para el Arte
25) L’atelier de l’artiste rue de la Boétie, 1920, musée national Picasso-Paris
26) Nu couché et joueur de flûte, 1932, collection particulière
27) Faune et chèvre, 1959, musée national Picasso-Paris
28) La flûte de Pan, 1923, musée national Picasso-Paris
29) Faune blanc jouant de la piaule, 1946, musée national Picasso-Paris
30) La flûtiste, 1971, collection particulière
31) Joueur de flûte et femme nue, 1970, collection David et Ezra Nahmad
32) Musicien, 1972, musée national Picasso-Paris
33) L’Aubade, 1965, Association des Amis du Petit Palais, Genève

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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