Parcours inspirant : portrait de Samuel Ginsbourger
A 30 ans, Samuel Ginsbourger est passé des agences d’architecture haut-de-gamme aux principes de la frugalité heureuse et créative qu’il applique avec passion, notamment dans…
Je me suis rendue pour la première fois au Japon en 2000. Depuis longtemps, sans savoir vraiment pourquoi, la culture et la délicatesse japonaises exerçaient un certain attrait sur moi. Une fois sur place, cette première impression s’est confirmée et même renforcée. Je ne pouvais pas rentrer en France et continuer ma vie comme si rien d’important ne s’était passé. Pendant deux ans, j’ai alors alterné des missions en France avec des séjours au Japon durant lesquels j’ai noué des contacts. En 2002, je m’y suis vraiment installée et l’aventure a duré dix ans.
Je dirais que deux temps définissent cette décennie : celui des débuts et celui de la confiance. A mon arrivée, avec trois autres designers, nous avons fondé un collectif que nous avons nommé « Postnormal ». Nous partagions un local, les frais et une assistante administrative également traductrice. Cette association nous a aidé à nous lancer. A Tokyo, j’ai également rencontré un collaborateur de la maison Hermès. Pendant sept ans, quatre fois par an, j’ai conçu et réalisé leurs vitrines. En 2005, j’ai décroché ma première commande vraiment importante pour Restir, une société japonaise spécialisée dans les boutiques de luxe dont l’équivalent en France serait le concept-store l’Eclaireur. La société m’a demandé de concevoir l’intégralité du projet : sa conception globale, son logo et sa charte graphique, l’architecture d’intérieur, les vitrines, le merchandising,… L’inauguration de la boutique a remporté un vrai succès. Cette étape clé m’a permis de ne plus démarcher.
Au Japon, la confiance et le respect sont les clefs de voûte qui régissent les relations entre les personnes dans le travail. Collaborer avec une entreprise sur un chantier est très agréable : chaque chose est à sa place, les délais sont respectés, un soin infini est porté à chaque petit détail. Le client ne vous demande pas de lui expliquer pourquoi vous avez choisi du bleu marine et non du noir, ou du marbre plutôt que de la céramique teintée. Il vous fait confiance, sinon il n’envisage pas de travailler avec vous.
Au début, j’avais l’impression de me heurter à un mur de sable… J’ai appris à deviner, à comprendre la signification de certains silences… Paradoxalement, ne pas parler la langue s’est avéré être une force. Si je m’exprime en japonais, je deviens en quelque sorte un peu japonaise et le regard des hommes se modifie. Or, au Japon, c’est sémantique, le vocabulaire n’est pas employé de la même manière par un homme que par une femme, ce qui renforce cette impression de retenue et même de timidité lorsque l’on écoute une femme parler. C’est un obstacle qui complique le processus de négociation. C’est pourquoi, une étrangère – si elle ne s’exprime pas en japonais – peut se permettre d’être un peu plus directe. La contrepartie est qu’il reste très difficile de s’intégrer. Aux yeux des japonais, un étranger restera toujours…étranger.
C’est un ensemble de références qui nourrit ma vison esthétique. J’ai toujours aimé le wabi-sabi, un concept esthétique japonais émanant du zen et difficile à définir en peu de mots. C’est une forme d’acceptation de la nature des choses, de leur lente érosion… A cela s’ajoute mon attrait pour l’art minimal, et l’élégance française à laquelle j’injecte quelques touches de sensualité.
Je souhaite développer mes activités dans toute l’Asie et depuis le Japon j’avoue ne pas y arriver. Hong Kong me semble une ville plus internationale et centrale pour l’Asie. J’y ai fondé Laur Meyrieux studio en janvier 2012. J’ai constitué mon équipe, rencontré des fournisseurs, des clients. Nous venons juste de terminer un beau projet pour Samsung en Corée. C’est encourageant.