Christian Boltanski a investi les espaces d’exposition du Centre Pompidou pour une exposition atypique et immersive. Il ne s’agit pas ici d’une rétrospective, au parcours chronologique ou thématique mais d’une œuvre d’art total: Boltanski nous invite à déambuler au cœur de sa création et de son imaginaire. C’est pour cela qu’il est difficile de mettre des mots sur la visite de l’exposition Faire son temps, véritable expérience qui marque et transporte.

A l’entrée de l’exposition, nous sommes accueillis par le mot DEPART écrit en ampoules rouges. L’ARRIVEE, marquée elle par des ampoules bleues, est logiquement à la fin de l’exposition. Cela pourrait paraître un peu scolaire, un peu naïf, voire un peu niais, si entre ces deux points, la cinquantaine d’œuvres de l’exposition n’étaient pas disséminées, dans une lumière vacillante et quasi crépusculaire; et si elles n’apparaissaient pas au fur et à mesure de la visite, comme au gré des souvenirs dans le cerveau de l’artiste. La scénographie est sobre, il n’y a pas de distance entre les oeuvres et les visiteurs. Aucun cartel explicatif, seul un feuillet distribué à l’entrée indique le nom des installations. C’est donc sans repères, comme dans un parcours initiatique que nous traversons ce royaume des ombres pour rejoindre l’arrivée. La visite s’apparente alors à une méditation sur la vie et son cours.

Les œuvres et les éléments sonores parlent du temps qui passe, et se prêtent à une réflexion sur la mort. On explore la frontière entre absence et présence, on oscille entre mémoire collective et individuelle.

En effet, le matériau privilégié de Christian Boltanski est la mémoire. Ses œuvres sont pour la plupart constituées de matériaux périssables ou difficilement conservables et sont donc amenées à disparaitre. Il a d’ailleurs lui même détruit certaines de ses œuvres face à l’inexorable passage du temps. Mais qu’importe puisque son art vivra dans le souvenir collectif. Créer s’apparente à une lutte contre l’oubli. Contre ce temps qui passe, Boltanski collectionne, archive et classe: les battements de coeur sur l’île de Teshima au Japon, où les pèlerins peuvent écouter jusqu’à 70000 enregistrements; les notices nécrologiques suisses de visages d’inconnus qu’il regroupe en diverses installations. Il compile également ses autoportraits de l’enfance à l’époque actuelle qu’il surimpose et interroge pour trouver un sens à ce temps qui passe, à cette mémoire qui s’obstine alors qu’elle est si fugace. Il collecte ses photographies de famille, celles des autres, qui sont des témoins de l’histoire en marche, autant que de l’histoire individuelle… Lorsqu’il reconstitue la vie d’anonymes, en valorisant les petites histoires, il glorifie l’humanité dans sa fragilité et son unicité. Il mène une réflexion sur l’histoire individuelle ancrée dans la grande Histoire, en prise avec le récit commun. L’artiste joue le rôle de passeur de mémoire.

De plus Boltanski empile. Il crée des gratte-ciel avec des boîtes à gâteaux en fer blanc, qui chacune est dépositaire d’un visage, d’une histoire, d’un destin grâce à une photographie ou à une coupure de journal: comme la vie humaine, ces boîtes peuvent basculer ou s’écrouler à tout instant.

Il fait des terrils de manteaux noirs évoquant ainsi les absents. Il regroupe des valises pour symboliser ce qui reste de ceux qui sont partis, … Il décortique la vie des hommes et révèle ce qui en subsiste lorsque leur temps est écoulé. Il abat les frontières entre l’art et la vie, entre le témoignage et la création, entre l’absence et la présence.

Obsédé par la fragilité de l’existence, face à la fuite du temps, Boltanski peuple son œuvre de fantômes, d’ombres familières et nous renvoie à nos propres fantômes et à nos peurs enfouies. Il s’attache à comprendre comment l’homme fait face à la disparition et à la mort.

L’ambiance est oppressante et suffocante mais sait se faire apaisante et réconfortante.

Certaines œuvres véhiculent une poésie et sont les témoins de la faculté de Boltanski à manier la lumière et la beauté: il fabrique des trompes avec des ingénieurs acousticiens pour parler avec des baleines et leur demander les origines de la vie humaine sur terre; il parsème la végétation de plaines canadiennes et chiliennes de clochettes japonaises qui tintent au gré du vent, tel des âmes en résonance. Il manie les ombres pour sublimer ses installations. Il nous hypnotise avec une installation où des centaines d’ampoules sont entremêlées au sol, toutes allumées le premier jour de l’exposition, elles s’éteignent une par une jusqu’à l’obscurité le dernier jour. C’est beau et terriblement efficace. Il sait parfaitement jouer avec nos émotions.

L’exposition Faire son temps nous énumère sans lasser les codes et concepts de Christian Boltanski. Elle permet de mesurer l’ambition et la sensibilité de son œuvre. Elle met en avant la mémoire comme matériau vivant sans négliger la part de mystique et de ludique, d’humain, de personnel et d’universel dans sa création.

Cependant l’absence de cartels et de panneaux de salle, cette confrontation assumée directe entre le visiteur et l’œuvre, nous plonge sans filtres et sans mise à distance critique dans une création très codifiée. L’œuvre de Boltanski est alors présentée comme atemporelle, alors qu’il aurait également été intéressant de découvrir en quoi elle s’inscrivait dans son temps.

Christian Boltanski, Faire son temps, au Centre Pompidou jusqu’au 16 mars

Liste des œuvres :
1) Autel Chases, 1988, musée d’art moderne contemporain de Saint Etienne.
2) Prendre la parole, 2005.
3) Monument collège d’Hulst, 1986, galerie Kewenig, Berlin.
4) Le manteau, 1991.
5) Reliquaire, 1990, Collection Fondation Arco.
6) Reliquaire, 1990, Collection Fondation Arco.
7) Le Terril, Grand-Hornu, 2015, collection musée des arts contemporain Grand-Hornu.
8) Réserve: les Suisses morts, 1991, Institut Valencia d’art moderne.
9) Monument collège d’Hulst, 1986, galerie Kewenig, Berlin.
10) Théâtre d’ombres, 1984-1997.
11) Entre-temps, 2003.
12) Les regards, 2011.
13) Animitas blanc, 2017.
14) Réserve: les Suisses morts, 1991, Institut Valencia d’art moderne.
15) Crépuscule, 2015

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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