Avec sa nouvelle exposition Du Douanier Rousseau à Séraphine, les grands maîtres naïfs, le musée Maillol nous emmène à la rencontre d’artistes peu connus et qui n’ont pas toujours été reconnus par le milieu de l’histoire de l’art.

Au tournant du XIXème et du XXème siècle, plusieurs artistes en marge des avant-gardes et des académismes, développent leur propre langage pictural. Grâce à la centaine d’œuvres réunies par le musée Maillol, dont beaucoup proviennent de collections privées, nous découvrons ces personnalités singulières qui ont trouvé dans la peinture un moyen d’expression privilégié. Pourtant même s’ils sont rassemblés dans cette exposition, ils ne font pas parti d’un mouvement ou d’un courant. Les appellations pour les désigner varient et sont assez révélatrices : peintres naïfs, primitifs modernes, peintres enfants, peintres du dimanche… La peinture n’était en effet pas leur premier métier, ils étaient douaniers, pépiniériste, femme de ménage, employés des postes, … et peignaient sur leur temps libre, le dimanche. Leur parcours de vie est parfois romanesque, et l’anecdote biographique a alors remplacé l’analyse artistique, contribuant au manque de reconnaissance de leurs œuvres.

Le plus souvent autodidactes, d’origines modestes, ces peintres ont en commun un goût pour des sujets populaires représentés dans des tons très vifs et colorés, dans un style dit enfantin. Ils sont figuratifs, mais pas réalistes et ne respectent pas les règles de la perspective. S’ils n’ont pas suivi de cursus académique, ils sont curieux et sensibles à ce qui agite leurs contemporains et s’intéressent aussi bien aux estampes japonaises et à l’épure de la composition qu’aux codes de la tradition picturale qu’ils connaissent sans les adopter. S’ils portent une attention toute particulière aux détails, jusqu’à accentuer la précision du trait, ils se détachent du réel pour en proposer une vision très personnelle, parfois extravagante, des fois surréaliste ou même dérangeante et subversive.

La force de l’exposition est de nous présenter ce qui les rassemble tout en nous ménageant des tête-à-tête avec chacun d’entre eux. Chaque artiste développe en effet ses obsessions, sa technique privilégiée, un univers à part.

Ainsi si le parcours est thématique, et s’intéresse tout particulièrement aux motifs et aux sujets des peintures, chaque section s’arrête sur un artiste en particulier : la partie sur les paysages permet de faire la connaissance du douanier Rousseau, l’aîné et la figure tutélaire s’il doit en y avoir une de ces peintres, la partie sur les natures mortes tourne autour de André Bauchant, celle sur les marines est centrée sur Dominique Peyronnet, la section sur les nus donne la place d’honneur à Camille Bombois, celle sur les fleurs nous permet de rencontrer Séraphine Louis, tandis que les vues urbaines sont le fait de René Rimbert…

Dans chaque partie, le regard artistique sur les œuvres est doublé par des éléments bibliographiques. La visite est très fluide, et nous alternons agréablement entre une approche analytique et une plus sensible des œuvres, entre étude et contemplation.

Cependant, les artistes ne sont pas les seules rencontres que nous faisons, leurs défenseurs, marchands, critiques d’art et galeristes sont aussi mis à l’honneur. Celui qui joua un rôle essentiel dans la reconnaissance de leur talent est Wilhelm Uhde. Comme les peintres, qu’il appelait lui-même naïfs, n’exposaient pas dans les salons, il leur organise des expositions, il a défendu l’œuvre du douanier Rousseau et a révélé Séraphine Louis. Jeanne Bucher sélectionnera aussi des œuvres de ces artistes à contre-courant dans sa galerie. C’est d’ailleurs comme cela que Dina Vierny, muse de Maillol, fondatrice du musée éponyme, découvrira André Bauchant. Elle organisera une exposition dans sa propre galerie et rachètera une partie de la collection de Wilhelm Uhde. Paradoxalement leurs plus fervents supporters vont permettre aux peintres naïfs de s’institutionnaliser.

Pablo Picasso, André Breton, Le Corbusier, ou même les Surréalistes surveillent cette production à part, n’hésitant pas y piocher leur inspiration, attirés par cet art décomplexé.

C’est un voyage passionnant et déstabilisant, coloré et vibrant, une sorte de retour en enfance, un aperçu d’un monde insolite et rêveur, spontané et authentique, que nous effectuons en traversant les salles d’exposition du musée Maillol.

Du Douanier Rousseau à Séraphine, les grands maîtres naïfs, Musée Maillol, jusqu’au 19 janvier 2020.

Liste des œuvres :

  • Deux lions à l’affut dans la jungle, Douanier Rousseau, 1909, collection particulière
  • Immensité bleue, Dominique Peyronnet, 1943, collection particulière
  • La forêt, Dominique Peyronnet, non daté, musée international d’art naïf de Nice
  • Le gros nuage, René Rimbert, non daté, collection particulière
  • Fillette à la poupée, Camille Bombois, 1925, collection particulière
  • Autoportrait aux chats, Ferdinand Desnos, 1953, collection particulière
  • La jungle aux singes, André Bauchant, 1924, galerie Dina Vierny
  • Les grappes de raisins, Séraphine Louis, 1930, galerie Dina Vierny
  • Le styx, André Bauchant, 1939, LAM
  • L’affiche rose, René Rimbert, 1928, galerie Dina Vierny
  • Vue des bords de l’Oise, le Douanier Rousseau, 1905, collection particulière
  • Nu de face, Camille Bombois, 1935, galerie Dina Vierny
  • Le sacré-Coeur de Montmartre, Jean Eve, 1946, galerie Dina Vierny
  • Fleurs et Fruits, Séraphine Louis, 1920, collection particulière

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur

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