Le musée d’Orsay nous présente le plus anglais des peintres français, James Tissot, de son vrai prénom Jacques Joseph. L’exposition suit un parcours chronologique, retraçant les grandes étapes de la vie et de l’oeuvre du peintre. Cependant elle cherche également à replacer l’art de Tissot dans le contexte artistique et social de son temps, la fin XIXème siècle. Sous les yeux du peintre, c’est toute la société du Second Empire et de l’Angleterre victorienne qui s’anime.

Né à Nantes 1836 au sein d’une famille bourgeoise et aisée, grâce à ses activités dans l’industrie textile, Tissot étudie chez les Jésuites en Belgique, avant de rejoindre Paris en 1856 pour se former aux Beaux-arts. Il y fait son apprentissage dans l’atelier de Flandrin et de Lamothe, deux disciples d’Ingres, qui lui inculquent le goût du dessin. Tissot copie les maîtres au musée du Louvre. Il est alors particulièrement attiré par les oeuvres des artistes anciens, Cranach, Dürer, ou Carpaccio et est sensible à la mouvance préraphaélites. En 1859, Tissot expose au Salon où, si les critiques lui reprochent de pasticher les anciens, il suscite l’intérêt du public qui apprécie son style original au dessin précis, aux couleurs contrastantes, son sens aiguisé de la composition et son attention au détail.

Très vite, Tissot applique cette formule à des sujets modernes, et au Salon de 1864, ses tableaux, deux portraits, connaissent un véritable succès. Il maitrise notamment parfaitement le rendu des tissus et des matières et sait mieux que tout autre rendre les toilettes des élégantes. Les grands formats qu’il affectionne pour ses portraits contribuent à porter cet art, si caractéristique de la société du paraître du Second Empire, au rang de la peinture d’histoire.

En véritable dandy, Tissot côtoie la société mondaine. Il reçoit beaucoup de commandes de riches clients aristocrates ou bourgeois. Ses oeuvres sont diffusées par des photographies et sa réputation s’exporte jusqu’aux Etats-Unis. Il est alors un des peintres les plus en vue et vit aisément.

Dès son arrivée à Paris, il s’est lié d’amitié avec Whistler et Degas, avec qui il partage un goût marqué pour les estampes et la culture japonaises. Ils sont parmi les tout premiers à s’intéresser à cet art encore peu diffusé. En effet, le Japon s’ouvre au monde à partir de 1853 seulement et sa première participation à une Exposition Universelle (celle de Paris) date de 1867. S’il ne transcrit pas plastiquement les leçons japonaises, Tissot constitue une collection d’objets japonais, qu’il mettra en scène dans ses oeuvres tout au long de sa carrière.

En 1870, pendant la guerre franco-prussienne, Tissot est enrôlé volontairement. C’est le cas d’autres artistes, Edgar Degas, Edouard Manet, Jules Regnault, pour ne citer qu’eux. Il prend probablement part à la Commune, en 1870 ; il produit quelques dessins très réalistes des combats et des blessés. Mais la part de son engagement reste mystérieuse. Après la Semaine sanglante, qui met fin aux combats, il quitte Paris pour Londres. S’il n’y est pas un parfait inconnu, il peut compter sur son ami, le fondateur du journal Vanity Fair, Thomas Gibson Bowles, pour l’introduire dans les clubs huppés et dans les plus hautes sphères de la riche société victorienne. Il y retrouve ses amis Alphonse Legros et James Whistler. Lorsqu’il ne répond pas à des commandes de portrait, il se passionne particulièrement pour les bords de la Tamise. Il apprécie ce cadre, aux activités hybrides, entre loisirs et industrie. Le peintre conquiert rapidement les critiques et la presse. Cependant, il pose sur les moeurs et conventions sociales strictes de la société anglaise un regard amusé qui dénote sa position d’étranger.

Tissot apprécie également tout particulièrement les parcs et les jardins anglais. Il en fait le cadre de scènes énigmatiques, bordées par les éléments naturels, feuillages ou pelouses, qui ferment complètement la perspective. La figure féminine y a un rôle incontournable, bien que le spectateur ne comprenne pas forcément ce qui est en jeu dans la scène représentée. Un élément clef nous échappe et nous empêche de saisir complètement les enjeux. Cependant comme souvent chez Tissot, la force des couleurs et la maîtrise des compositions appellent plus à la contemplation qu’à la compréhension.

C’est à cette époque que Tissot rencontre Kathleen Newton, divorcée et mère de deux enfants ; il ne pourra pas l’épouser. Amoureux obsessionnel, elle devient son sujet préféré et nous retrouvons alors ses traits dans toutes les figures féminines de ses toiles. Elle est l’incarnation de l’idéal féminin. Lorsque sa compagne décède en 1882 de la tuberculose, il quitte précipitamment Londres pour retourner à Paris. Tissot, très affecté par la disparition de sa maîtresse et muse, s’intéresse au spiritisme et tente de rentrer en contact avec Kathleen.

A son retour en France, il se lance dans la réalisation d’un cycle de quinze peintures de même format sur le thème de la «  Femme à Paris  ». La Parisienne dont il fait le sujet principal de son cycle, est le symbole de la beauté moderne et sophistiquée. En arrière plan, Tissot représente la vie moderne et les thèmes chers au courant naturaliste : les boulevards parisiens, les magasins des nouveautés, les lieux de spectacles et de divertissements de la société aisée comme les hippodromes. Tissot souhaite voir son cycle illustrer des nouvelles signées par des écrivains français. Bien qu’il s’appuie sur ses amis Edmond de Goncourt et Alphonse Daudet et qu’une souscription soit lancée, le projet échoue.

Tissot comprend qu’il est désormais trop anglais et qu’il aura du mal à retrouver une clientèle à Paris. Il s’engage alors dans un projet très personnel d’illustration de la Bible, qui l’occupera durant les quinze dernières années de sa vie. En effet son intérêt pour l’occultisme après le décès de Kathleen Newton, se double d’un renouveau pour sa foi catholique. Il souhaite «  établir la vérité du récit biblique dans un monde chrétien dont l’imagination est faussée par les fantaisies des peintres ». Il voyage en Terre sainte à trois reprises et recherche une expérience la plus authentique possible des Ecritures. Il expose ses aquarelles au Salon de 1894, où elles rencontrent un grand succès. Il publie un ouvrage, La Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, et présente ses illustrations en Amérique du Nord lors d’une exposition itinérante. Alors qu’il envisageait d’illustrer l’Ancien Testament, Tissot décède le 8 août 1902, au château familial de Buillon, dans le Doubs.

Après sa mort, Tissot reste célèbre quelques temps, grâce essentiellement à son cycle d’illustration de la Bible. Cependant, il tombe peu à peu dans l’oubli à l’orée du XXème siècle, trop inclassable, entre les peintres impressionnistes, avec qui il avait refusé d’exposer, et les peintres académiques. Les artistes modernes ne se revendiqueront pas de sa filiation.

Pourtant Tissot n’a pas cherché à révolutionner la peinture et les codes de la représentation ; il s’inscrit d’ailleurs dans une longue tradition de dessin académique et de perpective à l’italienne. Toutefois, passionné par l’image, par son impact et par son rendu, il saisit l’importance des possibilités de reproduction et lie consciemment production artistique et industrielle. Ainsi ses tableaux à la composition claire sont aisés à reproduire en gravure, aussi bien que par des clichés photographiques. Le peintre transpose d’ailleurs lui même certains de ses tableaux par l’estampe. Il s’interroge sur l’avenir de la peinture. Il lui semble naturel de diffuser ses oeuvres au plus grand nombre grâce aux techniques de reproduction. L’image connaît alors le début de son âge industriel. Il n’hésite pas à reprendre ses compositions dans différentes techniques. Il excelle d’ailleurs aussi bien en estampe qu’en émail cloisonnée, à l’aquarelle qu’à la gravure. Comme pour clore une boucle, les cadrages surprenants de Tissot et particulièrement ceux de ses illustrations de la Bible marqueront le début du cinéma naissant.

Les sections de l’exposition, en présentant chacune une période et un axe très précis de la vie et de l’oeuvre de Tissot, nous réservent toutes des surprises. On se laisse charmer par l’attention portée aux détails, par les jeux de regards, entre les personnages mais également à notre intention. C’est un réel plaisir de parcourir les salles, à la rencontre du raffinement, de plonger au coeur de la société du Second Empire puis de la société victorienne anglaise, entre historicisme et réalisme, peinture de genre et sujets littéraires.

James Tissot, l’ambigu moderne au musée d’Orsay jusqu’au 13 septembre.

Liste des oeuvres:

1) The gallery of HMS Calcutta, 1877, Tate, London
2) Départ, 1863, Petit Palais, Paris
3) Portrait de Mlle L. L, 1864, musée d’Orsay, Paris
4) Les deux soeurs, portrait, 1863, musée d’Orsay, Paris
5) Le Printemps, 1865, Collection Perez Simon
6) Portrait de la famille du Marquis de M, 1865, musée d’Orsay, Paris
7) Japonaise au bain, 1864, musée des Beaux-arts de Dijon
8) London visitors, 1874, Toledo museum of art
9) Too early, 1873, Guidhall art gallery
10) Croquet, 1878, Art gallery of Hamilton
11) The reply, 1874, National gallery of Canada, Ottawa
12) Kathleen Newton à l’ombrelle, 1878, musée Baron marton, Gray
13) October, 1877, musée des Beaux-Arts Montréal
14) Portrait, 1877, collection particulière
15) Les demoiselles de province, 1883, collection Diane B. Wilsey
16) Les femmes de sport, 1883, Museum of fine art, Boston
17) Ces dames des chars, 1883, museum of Art, Providence
18) La plus jolie femme de Paris, 1883, musée d’Art et d’Histoire de Genève
19) La demoiselle d’honneur, 1883, Leeds museums ans galleries
20) Jésus monte seul sur une montagne pour prier, 1886, Brooklyn museum, New-York 21) Le tremblement de terre, 1886, Brooklyn museum, New-York
22) Les deux prêtres foudroyés, 1896, The Jewish Museum, New-York
23) Le forum vu à vol d’oiseau, 1886, Brooklyn museum, New-York
24) Jeunes femmes regardant des objets japonais, 1869, Cincinnati art museum
25) Hide and seek, 1878, National Gallery of Art, Washington
26) La demoiselle de magasin, 1883, Art gallery of Ontario, Toronto

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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