Le charmant musée Zadkine nous entraîne dans un univers onirique et poétique, hors du monde et hors du temps, grâce à son exposition, Le rêveur de la forêt, qui occupe tous les espaces du musée.
Cette exposition célèbre la puissance créatrice de la forêt et nous interroge sur notre rapport au monde sylvestre. La forêt véhicule un imaginaire très fort, entre peurs et enchantements ; elle abrite le vivant, mais aussi le sauvage et le sacré. Loin du contrôle des hommes, cet univers grouillant et incontrôlé fascine les artistes et notamment Ossip Zadkine. Le sculpteur a grandi au milieu de la nature en Russie, à proximité de grandes forêts, derniers vestiges des forêts primitives des plaines européennes. Il entretient un lien quasi organique avec la nature. Si les deux dernières expositions du musée Zadkine se sont attachées à mettre en valeur l’importance de la matière dans la création de l’artiste russe, il s’agit ici de s’intéresser non seulement à la matière première mais aussi à l’origine du matériau, à le considérer comme un motif à part entière, et ainsi de voir la forêt derrière l’arbre, non seulement pour Zadkine, mais aussi chez d’autres artistes.

L’exposition regroupe des œuvres d’une quarantaine d’artistes de tout le XXème siècle, des débuts de la révolution industrielle jusqu’à nos jours. Elle nous fait naviguer entre différents médiums (sculptures, photographies, peintures, céramiques,…) et entre différentes approches artistiques, poétiques, philosophiques et scientifiques.
Le parcours est en trois parties ou plutôt en trois temps. Nous commençons notre visite, par « La lisière ». Frontière physique et symbolique avec la civilisation, l’orée de la forêt marque pour les artistes le passage d’un monde à l’autre. Ainsi Zadkine et Gontcharova, sa compatriote, n’hésitent pas à plonger dans ce monde qui leur est familier pour en extraire un répertoire de formes et de récits.

Cette lisière représente également un seuil, une rupture mentale et initiatique que franchisse les artistes de la modernité, comme Picasso, Derain ou Gauguin, attirés par les formes brutes, archaïques et expressives des arts extra occidentaux et arts populaires. Ces incursions vers un autre monde, voire une autre temporalité, vont bouleverser la création du début du XXème siècle.

Pour nous, visiteurs, cette lisière est également l’occasion de nous familiariser avec différentes essences de bois, de ressentir la matière, de commencer notre voyage et de s’approprier la forêt.

Dans la partie suivante, « La genèse », nous entrons dans le cœur de la forêt et nous abordons son écosystème. La forêt est source de vie. En la côtoyant, les artistes ont le sentiment de se rapprocher de l’origine même de la création.

Son foisonnement et sa croissance fertile les inspirent et les stimulent. Elle est le théâtre de phénomènes naturels dont ils s’emparent. Ainsi le processus de naissance des formes, la morphogenèse, inspire à Jean Arp des oeuvres semblant se développer spontanément sans contrainte et directives. Les métamorphoses de la photosynthèse sont sublimées par Marc Couturier. La forêt est un monde complexe et mouvant où les catégories pré-établies entre végétal, humain et animal s’estompent et s’effacent pour faire place à des créatures hybrides, plus tout à fait humaines comme chez Laure Prouvost, entre deux sexes comme l’Hermaphrodite de Zadkine, ou composite, entre individu et nature comme chez Giuseppe Penone.

Vivre au sein de la forêt, c’est être au cœur d’un réseau, y nouer des alliances avec les êtres qui nous entourent, pour survivre, s’acclimater et se transformer. C’est aussi subir les lois de l’entropie, du pourrissement et de la dégradation. Si les hommes réfléchissent en termes de préservation, la forêt se conçoit en terme de cycles, entre mort et naissance, entre transformation perpétuelle et renouveau.

Enfin après avoir traversé le jardin nous accédons à la troisième partie, « Bois sacrés, bois dormants », dans l’atelier de Zadkine. Dans cette petite pièce, nous sommes confrontés à l’imaginaire véhiculé par la forêt. Zadkine lui-même était marqué par les mythes antiques prenant place dans des forêts, comme Daphné, nymphe aimée d’Apollon qui se transforme en laurier dont Zadkine propose une imposante statue colonne, semblable au tronc d’un arbre. Dans cette forêt mystérieuse, les apparitions et métamorphoses sont nombreuses.
Le bestiaire est fantasmé et fantasque, merveilleux et effrayant. La forêt n’est définitivement plus le lieu du rationnel.

La forêt est aussi pour certains artistes une des projections de la psyché, qui se révèle dans le sommeil, par des états de transe, par la prise de substances psychédéliques ou par la création. Il s’agit alors d’accéder à notre bois dormant, notre forêt inconsciente, ce « Nous profond » dissimulé que les artistes recherchent de façon cathartique.

Nous traversons les salles d’exposition en flottant, comme dans un songe. Les œuvres sont étonnantes et diverses. Nous sommes touchés par la poésie et la grâce de l’ensemble.

Cependant l’exposition réussit le pari d’être également fortement connectée aux préoccupations contemporaines, et notamment aux réflexions sur l’écologie. Elle fait remonter la mise à distance de la nature à la révolution industrielle où le fonctionnement du monde contemporain a, petit à petit, éloigné l’homme de l’environnement: déforestations volontaires, incendies démesurés, urbanisme déraisonné, … autant de menaces pour nos écosystèmes, et plus particulièrement pour les forêts, liées à nos modes de vie.
L’exposition interroge en filigrane et sans moralisation la position de l’artiste face aux causes environnementales et nous propose une reconnexion au monde du vivant et de l’organique.

Le rêveur de la forêt, au musée Zadkine jusqu’au 23 février 2020.

Liste des œuvres :
1) Feuille se reposant, Jean Arp, 1959, Centre Pompidou
2) Rebecca ou la grande porteuse d’eau, Ossip Zadkine, 1927, musée Zadkine
3) Femme à la cruche ou porteuse d’eau, Ossip Zadkine, 1923, musée Zadkine
4) Forêt d’automne, Natalia Gontcharova, 1950, Centre Pompidou
5) Domaine du Bois Landry, Patrick Bard, 2018, Signatures
6) La Forêt, Alberto Giacometti, 1950, Fondation Giacometti
7) Tête d’homme, Ossip Zadkine, 1922, musée Zadkine et Brotes, Javier Pérez, 2017, galerie Papillon, Paris
8) Parle Ment Branches, Laure Prouvost, 2017, galerie Nathalie Obadia
9) L’homme hibou, Karel Appel, 1960, Musée d’art moderne, Paris
10) L’arbre du paradis, Séraphine de Senlis, 1929, Centre Pompidou
11) Hermaphrodite, Ossip Zadkine, 1914, musée Zadkine
12) La Chauve-souris, Germaine Richier, 1946, collection particulière
13) Cariatide, fragments, Ossip Zadkine, 1923-1924, musée Zadkine
14) Augures mathématiques, Hicham Berrada, 2019, galerie Kamel Mennour, Paris
15) Série Arbres, Christophe Berdaguer et Marie Péjus, 2008, FNAC
16) Hirschkuh, Joseph Beuys, 1948, Centre Pompidou
17) La forêt noire, Eva Jospin, 2019, galerie Suzanne Tarasieve, Paris
18) Le Sommeil, Auguste Rodin, 1889-1894, musée Rodin
19) L’oiseau d’or, Ossip Zadkine, 1924, musée Zadkine
20) Projet pour lentilles de contact-miroirs, Giuseppe Penone, 1958, musée d’art moderne et contemporain, Strasbourg
21) Croissance, Jean Arp, 1938, Centre Pompidou
22) Tête de faune, Jean Carriès, 1890, Petit Palais, Paris

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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