Le musée d’Orsay fête sa réouverture avec une exposition consacrée au développement des  sciences naturelles au XIXème siècle et à leur impact sur l’art. Pour concevoir le propos  entre art et sciences, le musée s’est associé avec le Muséum National d’Histoire naturelle.  

La présentation est chronologique: elle est organisée autour de dix périodes, de la  Révolution à la Première Guerre mondiale. A chaque étape, les découvertes scientifiques  sont mises en résonance avec l’imaginaire collectif propre à l’époque et avec des  productions artistiques, peintures, dessins, sculptures ou objets. 

La première section est un prologue et nous immerge dans l’état des connaissances à la  Renaissance. La nature est alors une création divine. Dieu a façonné le monde et les  hommes à son image, en six jours. La nature est considéré comme un jardin créé pour  l’homme. Adam, le premier homme a nommé les animaux, Noé les a sauvé du Déluge.

Dès le XVème siècle pourtant, la curiosité académique pousse les humanistes à étudier la  nature qui les entoure. Les animaux et les plantes sont décrits très précisément dans des  traités illustrés. Les cabinets de curiosité permettent d’exposer des objets naturels aux  formes stupéfiantes ou au contraire des objets composites créés par l’homme pour  émerveiller et étonner. Des expéditions hors des frontières européennes, permettent de  ramener des espèces inconnues jusqu’alors. Les princes s’enorgueillissent de leur  ménagerie et rivalisent pour faire venir et acclimater des espèces rares. Les artistes ont  parfois accès à ces jardins royaux ou profitent de manifestations publiques pour  représenter ces animaux rares: éléphants, girafes ou rhinocéros font leur apparition dans  les arts européens.

Les scientifiques s’attachent à collecter, décrire et classer les espèces, qu’elles soient  végétales, minérales ou animales. Mais la création de la nature par Dieu n’est pas encore  remise en doute quelque soit le système de classification choisi. 

Si dès le XVIIIème siècle, des scientifiques ont accompagné les expéditions qui menaient  les explorateurs à l’autre bout du monde, au XIXème siècle l’expansion coloniale des états  européens et les progrès techniques accélèrent les échanges maritimes. Des naturalistes et  des artistes sont envoyés découvrir les nouveaux territoires, en Australie et en Amérique  du Sud notamment. De plus en plus d’espèces sont répertoriées et il faut réinventer la  manière d’appréhender le classement pour rendre compte de la richesse de cette diversité.  Charles Darwin participe à ces expéditions et voyage pendant cinq ans autour du monde.  Cela sera la base de ses réflexions et écrits.

A Paris, après la Révolution, les animaux de la Ménagerie royale ont été installés dans un  des tout premiers parcs zoologiques. Les artistes, tels que Delacroix ou Barye saisissent  cette opportunité pour observer les félins. Leur approche naturaliste et notamment leur  attention aux expressions des animaux placent la peinture animalière au même niveau  d’intérêt que la peinture d’Histoire. A cette époque également, de grandes serres voient le  jour constituées à partir des orangeries royales, de pousses de plantes médicinales ou  provenant d’institutions botaniques. 

C’est aussi à ce moment que la vie des fonds marins intrigue. On découvre toute une  population jusqu’alors inconnue, notamment la grande diversité des méduses. Les anémones, coraux et tous les invertébrés marins font l’objet d’études. C’est à cette époque  que l’aquarium est inventé et vite popularisé dans les maisons victoriennes. Londres, Paris,  New York, Berlin inaugurent leur aquarium public. Ainsi pour l’Exposition universelle de  1867, deux aquariums géants sont installés sur le Champ de Mars avec huit cents animaux  marins de tout type. 

Au début du XIXème siècle, on pensait communément que la Terre n’était vieille que de  quelques milliers d’années. L’idée d’un monde façonné par des centaines de milliers  d’années s’impose petit à petit par les progrès de la géologie et remplace l’image d’un  monde créé en six jours comme dans la Bible. Les glaciers et les volcans font l’objet  d’attentions et d’études. Avec l’analyse approfondie des fossiles, c’est l’idée des espèces  figées dans le temps depuis leur création qui est remise en question. Les scientifiques  s’interrogent sur les extinctions en raison de catastrophes ou des évolutions graduelles. Les  dinosaures émerveillent et stimulent l’imagination des artistes à la recherche de la  représentation adéquate. Enfin la découverte d’ossements humains suscitent des questions  sur les premiers hommes.

Avec ces découvertes, toute la conception du monde est remise en question. Jusqu’à  présent le vivant était classé selon une hiérarchie qui allait de l’inorganique à Dieu en  passant par l’Homme à l’échelon le plus élevé. L’ancienneté du monde, la prise de  conscience du nombre élevé d’espèces et leur répartition géographique ouvrent la voie à  l’évolutionnisme. La vision d’une généalogie commune aux espèces émerge. Cependant les  raisonnements divergent. Ainsi Lamarck estime que les espèces se sont adaptées en  permanence à leur milieu. Darwin et Russel Wallace pensent que la sélection naturelle est  le ressort primordial de l’évolution. Darwin va plus loin et observe la mise en place de  caractéristiques propres à séduire pour s’assurer de transmettre ses gènes. Il attache  beaucoup d’importance aux plumes de paon qui n’ont aucune utilité, si ce n’est celle de  plaire à un potentiel partenaire et ainsi d’assurer sa descendance. L’engouement pour ses  théories popularise le motif de plume de paon. Il devient le symbole de la beauté naturelle  et de la femme fatale. 

En 1866, Haeckel établit un lien entre le singe et l’homme. Il s’impose comme le chainon  manquant entre l’animal et l’humain. Tour à tour inquiétantes, bestiales, humoristiques,  naturalistes, sensibles : les représentations de singes ne manquent pas et sont révélatrices  de la fascination des artistes pour ce cousin de l’homme. 

Mais alors l’homme ne serait-il qu’un animal? Pouvons-nous être des êtres doubles? Les  artistes explorent cette dualité en puisant dans le corpus de formes mythologiques:  chimères, sirènes, minotaures, etc. Les êtres hybrides s’imposent dans l’iconographie et  permettent d’explorer l’identité animale des hommes. 

La question de l’origine de la vie se pose également. Elle passionne autant les scientifiques  que les écrivains et les artistes. Freud et ses suiveurs font le rapprochement entre la nostalgie de l’utérus maternel et celui d’une forme de vie embryonnaire archaïque. Notre  pulsion de mort s’expliquerait par une volonté de retrouver la paix de ce monde  inorganique. Ces théories s’appuient sur une conception du développement de l’être  humain sous tendue par une idée de progrès. La dégénérescence, face sombre de  l’évolution effraie. Elle est théorisée par Emile Zola et son cycle des Rougon Macquart en  littérature ou illustrée par Honoré Daumier ou Edvard Munch en peinture.

L’impact des théories évolutionnistes en France coïncide avec le développement de  l’impressionnisme. Ainsi Claude Monet était familier de ces thèses et ses représentations  de la nature insistent sur sa vitalité générative. En constant renouvellement, les formes de  la nature ne sont pas figées, elles évoluent et réagissent à leur milieu pour se  métamorphoser. 

Cependant certains artistes ne seront pas séduits par les thèses évolutionnistes et  préfèreront privilégier l’ésotérisme: la théosophie, le spiritisme ou l’anthroposophie qui  sont en plein essor. L’esprit se détache de la matière et du déterminisme.

La Première Guerre mondiale met fin à l’émulation intellectuelle autour de l’origine de la  vie et la nature. La montée des régimes totalitaires va favoriser des dérives scientistes. Les  théories darwiniennes de l’évolution sont détournées et mises à profit de la création d’un  Homme nouveau. Dans l’optique du développement de la race, les êtres considérés comme  inférieurs sont amenés à être éliminés. Pourtant les recherches en biologie et en génétique  se poursuivent et confirment les liens entre l’être humain et le reste des êtres vivants. La  notion d’écosystème s’impose, chaque forme vivante étant dépendante des autres.  

Le parcours de l’exposition s’achève par des questions glaçantes sur notre vision actuelle  de la Nature: monde clos que l’Homme domine ou monde dans lequel nous pouvons  évoluer en harmonie? 

A l’image de la nature, l’exposition est riche et foisonnante. Elle réussit le pari de nous fait  parcourir plus d’un siècle de réflexions scientifiques et de courants d’histoire de l’art, avec  des incursions vers la littérature, sans nous perdre en chemin. De la curiosité académique  aux recherches scientifiques et des explorations et expéditions aux essais, nous  accompagnons les savants dans la connaissance de notre monde. La figure de Charles  Darwin et la publication de L’Origine des espèces en 1859 sont le point d’orgue de cette  course à la connaissance. C’est la première fois qu’un homme affirme que la nature  sélectionne les individus les plus aptes à s’adapter, à se reproduire et à survivre. Si ces  théories fascinent les artistes, c’est essentiellement la capacité de la nature à produire de la  beauté qui retient leur attention. Le monde de l’infiniment petit, la botanique ou les  profondeurs marines inspirent notamment et favorisent le développement d’un répertoire  de formes. Toute notre humanité est mise en parallèle avec notre animalité au fil des salles.  Il est fascinant de redécouvrir avec des yeux émerveillés des notions que nous prenons  désormais pour acquises.

Les origines du monde, l’invention de la nature au XIXème siècle  au musée d’Orsay jusqu’au 18 juillet.  

Liste des oeuvres :  

1) Duria Antiquior a more ancient Dorset, Henry de la Beche, 1832  

2) Après le Déluge, Filippo Palizzi, 1864, Museo Real Bosco di Capodimonte, Naples  3) Le Paradis terrestre avec la création d’Eve, Jan Brueghel le Jeune, 1630, musée du Louvre, Paris  4) Le rhinocéros, Albercht Dürer, 1515, musée du Louvre, Paris  

5) Panaches de mer, lithophytes et coquilles, Anne Vallayer Coster, 1769, musée du Louvre, Paris  6) Girafe nubienne, Jacques-Laurent Agasse, 1827, The Royal collection Trust, Londres  7) Réunion d’oiseaux étrangers, Alexandre Isidore Leroy de Barde, 1810, musée du Louvre, Paris  8) Le kakaotès buse, Pierre François de Wailly, 1813, Museum national d’histoire naturelle, Paris  9) Dattier, Michel Garnier, 1801, Museum national d’histoire naturelle, Paris  

10) Tulipes, Nicolas Robert, XVIIème siècle, Museum national d’histoire naturelle, Paris  11) Indiens dans la forêt vierge, Johann Moritez Rugendas, 1830, die Stiftung Preussiche, Berlin  12) Fuégiens dans un canoë au large de l’Ile de Wollaston, Conrad Martens, 1835, National Maritim  Museum, Londres  

13) Tigre dévorant un gavial, Antoine Louis Barye, 1832, musée du Louvre, Paris  14) Intérieur de la palmeraie de l’île aux paons de Berlin, Carl Blechen, 1832, Alte Nationalgalerie, Berlin  15) La lionne jalouse, Paul Meyersheim, 1885, Städel museum, Francfort sur le Main  16) Observations physique sur le poulpe de l’argonauta argo, Jeanne Villepreux Power, 1856, Museum  national d’histoire naturelle, Paris  

17) Méduse cyanea lamarckii, Charles Alexandre Lesueur, 1810, Museum d’histoire naturelle, Havre  18) Galatée, Gustave Moreau, 1880, musée d’Orsay, Paris  

19) Glacier de Rosenlaui, John Brett, 1836, Tate, Londres  

20) Rapt à l’âge de pierre, Paul Jamin, 1888, musée des beaux arts de Reims  

21) Eruption du Vésuve, Pierre Jacques Volaire, 1771, musée d’art moderne André Malraux, Le Havre  22) Le festival de St Within, le Pigeonnier, William Holman Hunt, 1856, The Ashmolean, Oxford  23) Une famille de renards, Bruno Andreas Liljefors, 1886, Nationalmusuem Stockholm  24) Pavonia, Frederic Leighton, 1858, collection particulière  

25) Abélard et Héloïse, Gabriel von Max, 1900, The Jack Daulton Collection 

26) Grenouille aux oreilles de lapin, Jean Carriès, 1891, Petit Palais, Paris  27) Le Minotaure, Georges Frederic Watts, 1885, Tate, Londres  

28) Vision sous marine, Odilon Redon, 1900, musée d’Orsay, Paris  

29) Les Origines, Odilon Redon, 1883, collection particulière  

30) L’Origine du monde, Gustave Courbet, 1866, musée d’Orsay, Paris  

31) La coquille, Odilon Redon, 1912, musée d’Orsay, Paris  

32) L’heure de la naissance, Alfred Kubin, 1901, Leopold museum Vienne  33) Fertilité, Alfred Kubin, 1901, Leopold museum Vienne  

34) La Madone, Edvard Munch, 1895, Munchmuseet, Oslo  

35) Nymphéas, Claude Monet, 1916, musée Marmottan-Monet, Paris  

36) Arbres sur un fond jaune, Odilon Redon, 1901, musée d’Orsay, Paris  37) Sans titre, Wassily Kandinsky, 1914, Städische Galerie, Munich  

38) Evolution, Piet Mondrian, 1911, Kunstmuseum, La Haye  

39) Motif hindou, Frantisek Kupka, 1919, Centre Pompidou, Paris  

40) Tempête en mer avec une épave en feu, Joseph Mallord William Turner, 1840, Tate, Londres  41) Au delà de l’homme, Briton Rivière, 1894, Tate, Londres 

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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