Le musée Maillol s’associe au LaM de Villeneuve d’Ascq pour nous proposer une exposition fascinante. Elle est consacrée aux artistes spirites de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle et s’intéresse particulièrement à trois d’entre eux : Augustin Lesage, Victor Simon et Fleury-Joseph Crépin. Les trois hommes sont originaires du Nord de la France et de milieu modeste. Ils sont respectivement mineur, cafetier et ouvrier. Ils n’ont pas de formation ou de pratique de la peinture, mais des voix les ont incité à prendre les pinceaux et à créer des œuvres d’une minutie hypnotique.

Le parcours alterne entre approche chronologique, historique et thématique et met en scène plus d’une centaine d’œuvres issues de collections européennes, publiques et privées. Autour des œuvres de Lesage, Simon et Crépin, d’autres peintres spirites sont réunis. Ce courant apparaît aux États-Unis au milieu du XIXème siècle. Il trouve rapidement un écho en Europe et entrer en contact avec les esprits devient un phénomène de société, à la fois favorisé par les guerres qui secouent le continent, mais aussi par les milieux intellectuels. C’est le cas de Victor Hugo qui en 1853, alors qu’il est exilé sur l’île de Jersey, est initié par la poétesse Delphine de Girardin aux « tables tournantes ». Au cours des quelques séances auxquelles il participe, il communique avec l’esprit de personnes décédées dont celui de Léopoldine, sa fille, Shakespeare, Molière, Racine, Jésus-Christ ou encore Mahomet.

L’exposition du musée Maillol nous plonge dans cette période, en s’appuyant sur des archives d’époque. Sans condescendance, ni jugement, elle nous présente un ensemble d’œuvres réalisées sous influence de l’au-delà. Nous notons au gré des toiles des références chrétiennes, hindoues, orientales ou à l’Egypte antique dans les motifs. Les peintres semblent avoir en commun un sens aiguë de la composition, un attachement à la symétrie, une volonté de sophistication et d’attention portée aux détails, si bien que leurs œuvres donnent envie d’en examiner chaque recoin autant que de les contempler dans leur globalité. D’ailleurs les toiles sont de format souvent assez conséquent, d’autant plus pour des artistes-ouvriers sans atelier dédié. Ils peignaient en enroulant la toile au fur et à mesure, obnubilés par la progression de leur œuvre.

Le premier artiste que nous rencontrons est Augustin Lesage. A 36 ans, il entend une voix alors qu’il se trouve dans une galerie de mine dans le bassin du Pas-de-Calais, qui lui révèle : « Un jour, tu seras peintre ». Après un moment de sidération, il organise une séance de tables tournantes avec des amis. Les voix lui confirment une nouvelle fois sa destinée. Bien qu’il n’ait jamais manifesté d’intérêt pour les arts plastiques auparavant, il se met à dessiner sous la dictée des esprits, et s’attaque à sa première peinture en 1913 sur une toile de 9 m². Dans un premier temps, il continue son métier et peint par intermittence. Mais il se découvre un don pour soigner et s’installe comme guérisseur à Béthune. Le succès est si important, qu’il sera poursuivi pour exercice illégal de la médecine, avant d’être acquitté. Il est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale et à son retour, il retourne à la mine. En 1923, le directeur de la Revue spirite lui assure un soutien financier qui lui permet de se consacrer exclusivement à la peinture. Il voyage alors régulièrement à Paris. Il expose pour les cercles spirites parisiens, mais aussi dans des salons tels que le Salon d’automne ou le Salon des artistes français. Lesage est également convié à peindre en public à l’Institut Métapsychique International où il fascinera aussi bien la presse que des personnalités. André Breton est ainsi séduit par le peintre. C’est d’ailleurs à cette époque, le début des années 20, que les peintres surréalistes s’essayent à l’écriture automatique.

Les cercles spirites et spiritualistes sont fascinés par la civilisation de l’Egypte antique. Lesage a profité de ces séjours parisiens pour visiter le musée du Louvre et notamment les collections d’antiquités égyptiennes ; il a rencontré Arthur Conan Doyle, fervent adepte du spiritisme, qui lui a offert un livre sur cette période. En 1922, Howard Carter a découvert le tombeau de Toutankhamon et la presse a largement diffusé des photographies des objets. Lesage est persuadé d’être la réincarnation d’un artiste de l’époque pharaonique. En 1939, il se rend enfin en Egypte et visite les principales attractions historiques, Louxor, la vallée des Rois, la vallée des Reines ou encore Assouan. Il dissémine des symboles dans ses toiles qui s’apparentent à des hiéroglyphes, construit des architectures qui font référence aussi bien aux corridors étroits des tombeaux antiques qu’aux galeries de la mine et rend hommage à Nefertiti, reine parmi les reines.

A partir de 1952, souffrant d’un glaucome, Augustin Lesage perd la vue. Cependant il continue de peindre quelques toiles, guidé par ses voix.

Nous découvrons ensuite l’œuvre de Victor Simon. Augustin Lesage le considérait comme son « continuateur ». Leur destinée est d’ailleurs assez similaire. Victor Simon travaille à la mine depuis l’âge de 12 ans. Adolescent pendant la Première Guerre mondiale, il est marqué par la proximité des champs de bataille, même s’il n’est pas mobilisé. Il est attiré par les croyances religieuses et ésotériques en vogue à cette époque et encore plus particulièrement dans le nord de la France. En 1920, à 17 ans, il assiste à une séance de spiritisme qui l’impressionne fortement. En 1933, alors qu’il tient un café, les esprits lui ordonnent de créer sa première toile, Résurrection, aujourd’hui disparue. Il rencontre Augustin Lesage et expose à plusieurs reprises avec lui. Cependant il ne souhaite pas vendre ses grandes toiles, au contraire de ses petits formats, des portraits du Christ ou de Bouddha qui avaient selon lui des vertus prophylactiques et dont la diffusion était essentielle. Victor Simon dévoue sa vie à la spiritualité. En 1947, il est nommé président d’honneur du Cercle de Spiritualisme Expérimental et Scientifique de Paris. Établi à Arras, il fonde la revue Forces spirituelles qu’il animera jusqu’à sa mort. Sous l’impulsion des esprits, il rédige trois livres théoriques : Reviendra-t-il ? (1953), Du sixième sens à la quatrième dimension (1955), puis Du moi inconnu au Dieu inconnu (1957). Il pratique aussi en tant que guérisseur, et privilégie les patients issus de classes défavorisées. Comme Lesage avant lui, Simon se rend régulièrement au Maghreb où il donne des conférences. Les deux peintres y ont côtoyé les sociétés savantes et les cercles occultes de l’Algérie et du Maroc.

Nous rencontrons enfin Fleury-Joseph Crépin. Dans les années 1920, les travaux nécessaires à la reconstruction du bassin minier, demandent des hommes agiles dans de nombreux domaines. Crépin est de ceux-là ; il est à la fois serrurier, plombier-zingueur, et quincaillier. Il est également sourcier et peut guérir par imposition des mains. Sur ses temps libres, il participe à l’animation de bals en jouant de la clarinette. En 1938, alors qu’il recopie de la musique, sa main cesse de lui obéir et trace d’étranges motifs. L’année suivante, alors que Crépin a 64 ans, il entend des voix qui lui révèlent : « Quand tu auras peint 300 tableaux, ce jour-là la guerre finira. Après la guerre, tu feras 45 tableaux merveilleux et le monde sera pacifié.» Il peint sans relâche avec la présence d’ombres qui le guident. Il achève sa 300ème œuvre le 7 mai 1945, veille de l’armistice. Il peint encore une centaine de toiles avant de poursuivre la mission confiée par les voix et de s’atteler à sa série des Tableaux merveilleux. A sa mort, en 1948, deux tableaux restent inachevés. Dans ses œuvres, on retrouve une inspiration néo-byzantine, la même qui est alors très en vogue dans le nord de la France pour reconstruire les églises après la Première Guerre mondiale.
Il multiplie les petits points, très resserrés comme motif ornemental. Il déclarait pouvoir en peindre jusqu’à mille par heure. Nous l’imaginons assez aisément accomplir cette tâche répétitive, concentré sur sa toile et plongé dans un état proche de la transe.

Les trois hommes se connaissaient et s’appréciaient. Leurs œuvres ont été présentées une seule fois ensemble de leur vivant, lors d’une exposition organisée par l’Union spirite française à la galerie Lefranc à Paris en 1946. Leurs œuvres ainsi réunies devaient montrer la voie d’une nouvelle édification spirituelle. Le musée Maillol a rassemblé les œuvres qui étaient présentes à l’exposition de 1946, elles sont accompagnées d’autres œuvres d’artistes ayant été appelés à peindre, ou ayant été influencés par des voix alors qu’ils pratiquaient déjà une activité artistique. D’autres artistes exposés dans cette dernière partie de l’exposition, reconnaissent leur attirance consciente des procédés ou formes propres à l’art spirite.


Après une attention plus particulière portée aux trois figures tutélaires, Lesage, Simon et Crépin nous rencontrons ainsi de nombreux artistes, et notamment des femmes spirites, ce qui pose la question d’un foyer créatif commun dans le bassin minier, mais également la survivance des pratiques spirites durant le siècle.

Au croisement de l’art brut et du spiritisme, de l’étrange et du spirituel, les œuvres nous surprennent et nous décontenancent. Si nous pouvons douter des motivations et être sceptiques quant à l’existence de guides invisibles qui dirigent la création, nous réalisons rapidement que l’important n’est pas là. Les toiles sont attrayantes, voire hypnotiques. Le fourmillement décoratif, la maîtrise de la composition, la complexité des formes créent des mondes étonnants. La sincérité et la bienveillance des artistes, qui peignent pour que la paix règne sur terre, loin des tourments qu’ils connaissent dans la mine ou lors des guerres auxquelles ils sont confrontés, sont touchantes. Les histoires autour de leur création ne font que rendre ces œuvres encore plus fascinantes.

Esprit es-tu là? Les peintres et les voix de l’au-delà au musée Maillol jusqu’au 1er novembre.

Liste des œuvres:
Cover : La toile judéo-chrétienne, Victor Simon, 1937, LaM Villeneuve d’Ascq

1) La Toile bleue, Victor Simon, musée des Beaux-arts d’Arras
2) Cosmos, Victor Simon, LaM Villeneuve d’Ascq
3) Composition symbolique sur le monde spirituel, Toile peinte pendant l’Occupation sous les bruits des moteurs, Augustin Lesage, musée d’ethnologie de Béthune
4) Sans-titre, Augustin Lesage, vers 1920, USFIPES, Paris
5) Sans-titre, Augustin Lesage, collection particulière
6) Sans-titre, Augustin Lesage, 1925, LaM Villeneuve d’Ascq
7) Néfertiti, Augustin Lesage, 1952, LaM Villeneuve d’Ascq
8) Les mystères de l’Egypte antique, Augustin Lesage, 1930, LaM Villeneuve d’Ascq
10) Christ, Victor Simon, 1949, Collection Franck Denékre
11) Bouddha, Victor Simon, 1975, LaM Villeneuve d’Ascq
12) Tableau merveilleux n°30, Fleury-Joseph Crépin, 1948, LaM Villeneuve d’Ascq
13) Tableau merveilleux n°5, Fleury-Joseph Crépin, 1947, LaM Villeneuve d’Ascq
14) Tableau n°5, Fleury-Joseph Crépin, 1939, collection Antoine de Galbert, Paris
15) Sans titre, Yvonne Cazier, 1968, LaM Villeneuve d’Ascq
16) Marguerites, Séraphine Louis, 1925, collection particulière
17) La fille de Jaïrus, Elise Müller, 1913, LaM Villeneuve d’Ascq
18) La toile jaune, Victor Simon, 1971, LaM Villeneuve d’Ascq

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.

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