In real life à la Tate Modern de Londres est l’exposition de la consécration pour l’artiste dano-islandais Olafur Eliasson. S’il était déjà reconnu et plébiscité, autant par le public que par la critique, il s’agit de sa première grande rétrospective. Il s’est illustré jusqu’à maintenant par des installations qui ont marqué les esprits comme en 2003, où déjà à la Tate Modern, il proposait avec The Weather Project un coucher de soleil permanent dans le hall de l’ancienne centrale d’électricité.

En France, nous l’avons découvert à Paris en 2002 au Musée d’Art Moderne de la ville. En 2005, il commence une collaboration avec la marque Louis Vuitton pour la boutique des Champs-Elysées et imagine les vitrines de Noël des boutiques dans le monde entier. C’est donc sans surprise qu’à l’ouverture de la Fondation Louis Vuitton, en 2014, l’exposition inaugurale lui est consacrée. Pour le niveau bas du bâtiment, il a même conçu une œuvre pérenne Inside the horizon, un kaléidoscope de miroirs et de panneaux lumineux jaunes qui semblent démultiplier l’espace et qui fragmentent l’environnement du spectateur.

Tout l’art d’Olafur Eliasson repose en effet sur la sensation et sur le ressenti du spectateur/visiteur. Il crée des œuvres qui sont autant d’expériences et la participation active du public est souvent un pré-requis. Il fait interagir l’individu avec son environnement et l’amène inévitablement à interroger son processus de perception. Eliasson dit qu’il met le visiteur en position de « se voir lui-même en train de ressentir ». Il s’agit véritablement d’allier l’art aux sciences cognitives pour chambouler nos convictions et perturber nos habitudes de perception.


L’exposition de la Tate Modern suit un parcours à peu près chronologique depuis les premières installations d’Olafur Eliasson dans les années 1990 jusqu’à ses travaux les plus récents. C’est ainsi 30 ans de travail qui sont remis en perspective grâce à une quarantaine d’œuvres, chaque groupe d’œuvres illustrant un thème clé de sa carrière et de ses recherches.

En guise d’introduction, la première salle nous présente, dans une seule vitrine, 450 maquettes, prototypes et études géométriques conçues en collaboration avec le mathématicien Einar Thorsteinn qui constituent un répertoire de forme.

Puis tel un magicien, Olafur Eliasson dévoile ses tours au fur et à mesure : rideau de pluie qui jaillit, se fige en suspension dans l’obscurité et crée un arc en ciel, gouttes d’eau d’une fontaine qui s’immobilisent en un éclair de stroboscope si bien qu’elles apparaissent solides, et autres merveilles.

Il tente de reproduire les miracles de la nature entre les murs du musée. Ainsi les œuvres témoignent de ses recherches sur les phénomènes naturels avec Moss Wall notamment composée de lichen provenant de son Islande natale qui se décompose face à nous, ou Wave machines qui imite le flux des marées.

Avec son installation Your Blind Passenger, il nous fait traverser un long couloir de 45 mètres plongé dans un brouillard coloré. La fumée est si dense qu’il est difficile de discerner notre environnement ; la lumière colorée qui inonde l’espace change doucement de tons, du jaune au violet. Nous perdons complètement nos repères. Il sculpte la lumière, la rend compacte et palpable. Il maîtrise les principes de la théorie des couleurs à l’instar des premiers abstraits et sait duper nos rétines.

Il s’amuse également avec des miroirs et leurs effets de transparences, toujours pour changer notre perception de l’environnement – et donc, par extension, de la façon dont nous appréhendons le monde.

L’exposition se termine par un espace plus centré sur les causes écologiques et sociales défendues par Olafur Eliasson. Ses engagements témoignent d’une sensibilité sincère à l’individu. Il réfléchit à ce qu’un artiste peut apporter aux problèmes liés au changement climatique, à l’énergie, à la migration et à l’architecture. Il collabore au sein de son studio avec des scientifiques, des philosophes, des architectes, des musiciens, des professeurs d’économie, de neurosciences et d’anthropologie.

Un des projets les plus emblématiques de Olafur Eliasson est la Little Sun, petite lampe solaire en forme de fleur, créée à Tate Modern en 2012. Pour chaque lampe achetée, une lampe et un chargeur solaires sont distribués à des communautés sans accès à l’électricité.

La bascule entre la partie plus interactive, quasiment ludique, de l’exposition et la section plus intellectuelle peut sembler déroutante. Cependant Olafur Eliasson est convaincu que la prise de conscience écologique et sociale ne doit pas reposer sur des éléments dystopiques ou négatifs. Il est persuadé que la clef du changement réside dans l’enthousiasme et l’inspiration. Grâce à ses oeuvres, il noue une relation émotionnelle avec le public, il le rend heureux, l’amène à le faire prendre conscience de son corps et donc de son lien au monde.

Je ne suis pour ma part pas convaincue que tous les visiteurs dépassent l’aspect divertissant des installations pour opérer le changement de conscience souhaité. L’attractivité des œuvres est telle qu’il est agréable de se laisser émerveiller. L’exposition de la Tate Modern est complète, colorée et réussit à jouer sur toute la gamme de références d’Eliasson, entre art et science, entre sensation et sensationnel, entre esthétisme et théories, entre expérimental et conceptuel, entre social et émotionnel, entre éco-responsable et ludique. Toutefois l’impact des œuvres d’Olafur Eliasson est sansdoute encore plus fort hors des murs, parfois trop sages, d’un musée.

Olafur Eliasson, In real Life, Tate Modern Londres, jusqu’au 5 janvier 2020.
Liste des œuvres:

  • Your uncertain shadow, (colour), 2010, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery
  • The Weather Project, 2003, Tate Modern, photo issue du site de la Tate Modern, © Olafur Eliasson 2003
  • Inside the horizon, 2013, Fondation Louis Vuitton, photo issue du site de la Fondation Louis Vuitton, ©
    Iwan Baan, 2014
  • Model room, 2003, Moderna Museet, Stockholm
  • Beauty, 1993, Museum of Contemporary Art, Los Angeles
  • Big Bang Fountain, 2014, photo issue du site de la Tate Modern, © Olafur Eliasson 2014 au Moderna
    Museet, Stockholm
  • Moss Wall, 1994, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery
  • Your blind Passenger, 2019, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery
  • In real life, 2019, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery
  • Notes
  • Little Sun, image du site
  • Window projection, 1990, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery
  • Cold wind sphere, 2012, Centre Pompidou, Paris
  • Room for one colour, 1997, Courtesy of the artist, Tanya Bonakdar Gallery

Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos et vidéo de l’auteur

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