La mode a toujours été une question d’appropriation : avoir ou ne pas avoir. Dans les années 70, investir dans un vêtement Yves Saint-Laurent donnait l’impression de pouvoir accéder – de manière fictive – au Studio 54, une discothèque française huppée fréquentée par le créateur et par des célébrités comme Bianca Jagger. Depuis 1937, l’écharpe Hermès, est connue comme une cravate, mais aussi comme un carré de soie, à l’identité forte. Porter Prada Couture vous rapproche du génie créatif de Miuccia Prada sans embarquer sur le prochain vol pour Milan.

Mais les enseignes de luxe ne peuvent plus se contenter de cibler seulement leur clientèle d’initiés. Aujourd’hui, les grandes marques de mode affirment leur présence sur les réseaux sociaux et dans les médias, publiant leurs produits sur Instagram pour fidéliser leur clientèle d’habitués mais surtout pour attirer de nouveaux fans. Ce changement est provoqué en partie par l’arrivée des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui agissent comme des médiateurs entre les acheteurs potentiels et les enseignes. En effet, les influenceurs rendent les marques de luxe plus accessibles aux consommateurs, les invitant à pénétrer dans cet univers auparavant réservé à une élite. Mais les marques de luxe vont encore plus loin. Pour s’adapter à la conjoncture économique actuelle, l’industrie de la mode investit dans un nouvel outil marketing : le Club.

Ces dernières années, YSL Beauty, Hermès et Prada ont initié leur propre concept de club dans de nombreuses villes à l’international. Chaque projet est rendu accessible à une clientèle de plus en plus large. Les espaces éphémères permettent aux marques d’en savoir plus sur les attentes de leurs prospects, de tisser des liens avec les clients potentiels sans démarche de vente, tout en donnant le sentiment aux consommateurs de faire partie d’un club sélectif à part entière.

Pour Hermès, entreprise traditionnelle de près de 200 ans, initier des actions comme le Carré-OK et les portraits de Sketchomaton de l’artiste Cyrille Diatkine au sein d’un espace privatif à Los Angeles, peut sembler fantaisiste. Pourtant, c’est ainsi qu’Hermès a pu attirer un public transgénérationnel autour de cette installation, permettant aux « membres du club » d’explorer l’histoire et l’héritage du carré de soie, emblématique de la marque.

« Hermès Carré Club s’est lancé sur l’idée de donner vie au carré de soie », relate Bali Barrett, directrice de la création de l’Univers des femmes Hermès. « Le processus de création collaborative derrière nos carrés est très intense et exigeant. Concevoir un club était le moyen idéal de rassembler une communauté autour du carré. »

C’est également l’occasion pour les consommateurs de rencontrer les designers, dans un environnement de studio qui fait écho à leurs créations. Pour les fans obsédés par leur smartphone et connectés en permanence aux réseaux sociaux, être vu dans un tel lieu est extrêmement valorisant. D’après l’étude « The State of Fashion 2018 » publiée par BoF-McKinsey, la dépendance aux appareils électroniques caractérisait les consommateurs de l’industrie de la mode l’an passé.

Autre exemple : se faire photographier à l’entrée du SoHo Beauty Hotel de Yves Saint Laurent était un incontournable durant la Fashion Week de New York, à l’automne dernier. Si les visiteurs n’ont pas pu réserver une nuit dans l’hôtel, une réservation d’une heure leur a juste donné le temps de visiter les cinq étages pour découvrir trois produits mis en évidence. Sur Instagram, on retrouve plus de 16 000 publications avec le hashtag #YSLBeautyHotel, qui montrent les visiteurs posant dans ce paradis hédoniste envahi de néons.

La visibilité et l’exclusivité implicite ont également été des facteurs de succès pour Prada Mode Miami, une plateforme événementielle en Floride, durant le festival Art Basel en 2018. Cette première version du club Prada a été pensée pour multiplier les rassemblements culturels dans le monde entier. Pour ce faire, la marque a repris l’hôtel Freehand Miami, à quelques pas de la plage, l’espace ayant été rénové et décoré pour refléter l’esthétique propre à la ville.
Bien que l’entrée soit exclusive, le club avait une approche unique et décalée car elle ne commercialisait aucun produit mais s’affichait comme la « capitale culturelle » de la marque. Une multitude de célébrités faisait partie de la liste des invités facilitant ainsi le buzz.

Alors que les marques de luxe prennent de plus en plus de poids dans la création de réseaux communautaires, on peut se poser la question : pourquoi nos relations avec les marques sont-elles à ce point fusionnelles ?Quels rôles jouent nos marques préférées dans notre identité, statut, vie sociale, humeur ?