Le musée des Beaux arts de Quimper nous propose une charmante exposition consacrée à Raoul Dufy. L’ensemble des oeuvres appartiennent à un collectionneur belge, passionné de l’artiste normand. Il a rassemblé au fil des ans, la collection privée d’oeuvres de Dufy la plus importante au monde. C’est en effet un impressionnant ensemble de 300 pièces qui est réuni ici. De plus, il ne s’agit pas seulement de peintures, mais également de dessins, d’estampes, de gravures, de céramiques, de décors et surtout de tissus qui nous prouvent que Dufy faisait partie de ces artistes, du début du XXème siècle, qui ont su abolir les frontières entre art et artisanat, entre arts dits majeurs et art dits mineurs.

Si les supports d’expression sont divers, Dufy prend plaisir à décliner ses sujets et motifs de prédilection. Il s’amuse ainsi à multiplier les variations sur un même thème dans différentes techniques. Le parcours met en valeur ces multiples aspects d’une oeuvre protéiforme tout en nous sensibilisant aux acquisitions du collectionneur.

La première salle s’intéresse aux peintures et dessins de Dufy. La pièce est intelligemment sectorisée pour nous permettre de découvrir en un seul coup d’oeil les sujets chers à l’artiste : la mer, la musique, la campagne normande, les festivités, les champs de courses, les scènes d’intérieur ou encore les natures mortes. Toutes ces oeuvres ont pourtant en commun un fort attachement à la lumière et à la couleur qui recouvre tout, s’échappe parfois des larges traits noirs qui veulent la définir et semble avoir une vie et un rythme propres. Il se dégage de ces oeuvres une joie de vivre puissante et envoûtante.

La deuxième salle est le coeur de l’exposition, qui souhaite mettre l’accent sur le travail de Dufy dans le champ des arts décoratifs et de la mode en particulier. C’est grâce à la gravure que Dufy s’engage dans la voie des arts décoratifs. En 1912, il grave le Bestiaire au cortège d’Orphée de Guillaume Appolinaire. Le poète souhaitait réunir une écriture lyrique et des illustrations modernes. S’il avait pensé à Picasso dans un premier temps, il propose le projet à Dufy qui puise son inspiration dans l’art médiéval et l’imagerie d’Epinal. Suite à ce projet, le couturier Paul Poiret lui confie l’en-tête de son papier à lettres. Leur collaboration continue lorsque Poiret demande à Dufy de transposer sur tissu la technique de la gravure sur bois. En 1911, les deux artistes s’associent et créent un atelier d’impression sur tissu, la Petite Usine. Dufy reprend les motifs de ses gravures ou peintures pour sa production textile. Plus que simple dessinateur, Dufy prend plaisir à cette activité d’artisan et s’initie au savoir-faire du métier.

Charles Bianchini remarque les productions signées Dufy pour la Petite Usine et lui propose un contrat pour la maison de soieries lyonnaises Atuyer-Bianchini-Férier. C’est ainsi que de 1912 à 1928, Dufy va proposer plus d’un millier de compositions à la gouache ou à l’aquarelle qui seront transposées sur tissu. Poiret, Chanel, Lanvin, Vionnet, Christian Lacroix, Agnès B. entre autres intègreront ces tissus à leurs collections. Ils seront également employés pour des chaussures ou pour de l’ameublement. C’est également Dufy qui dessinait les affiches promotionnelles de la firme.

La relation de confiance entre Dufy et Bianchini lui permet d’expérimenter et de laisser libre cours à son imagination. Il puise dans son répertoire de formes : il propose un bestiaire poétique et exotique mêlant papillons, éléphants et oiseaux, il emprunte à la mer les coquillages, les bateaux et les naïades, il décline les fleurs par couleurs ou par espèces et parsème les tissus, de roses, d’arums, de lys, d’anémones, de tulipes. Il s’essaye même à une abstraction très graphique. Il privilégie les tons purs et les arabesques et plus que jamais, il dissocie la couleur du dessin.

En collaborant avec Paul Poiret puis avec Charles Bianchini, Dufy a découvert la société mondaine, le Paris festif des années folles. En effet, il est invité aux fêtes fastueuses du couturier ou accompagne l’industriel à l’hippodrome. Très vite, il y côtoie des élégantes paradant en robes élaborées à partir de tissus qu’il a dessiné. Les loisirs mondains deviennent une source d’inspiration et Dufy représente parties de tennis, casinos, concerts, cirques, régates, défilés de mode, … Il devient le peintre des plaisirs et de la légèreté, du plaisir et de la douceur de vivre de l’entre-deux guerres.

En 1928, Dufy décide de mettre fin à sa collaboration avec la maison Bianchini. Il est lassé par le besoin de renouvellement permanent des motifs. Sa renommée lui apporte des commandes autant privées que publiques, d’autant plus que dans les années 1930, l’art mural est très à la mode et que son talent de décorateur n’est plus à démontrer. Il reçoit ainsi la commande de panneaux décoratifs pour la salle à manger du docteur Paul Viard et pour la villa L’Altana, dans la baie d’Antibes. Les compositions qu’il propose ressemblent à celles qu’il dessinait pour des carrés de soie, rappelant que l’artiste aime jeter des ponts entre les arts. En 1935, la Compagnie générale transatlantique lui confie le décor de la piscine du paquebot Normandie. Si ce projet reste inabouti, les esquisses nous permettent de découvrir des vues de Deauville, du Havre et de Sainte-Adresse, peuplées par des divinités marines.

Il sera en mesure de mener à bien de grandes compositions murales : un panorama allégorique évoquant la Seine pour le bar fumoir du théâtre de Chaillot, des triptyques pour la singerie du jardin des Plantes célébrant explorateurs, savants et poètes et surtout la Fée électricité : pour l’Exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne de 1937, il est choisi par la compagnie parisienne d’électricité pour orner l’intérieur du pavillon conçu par Mallet-Stevens.
Il réalise également des décors de théâtre, des illustrations pour des ouvrages ou des cartons de tapisserie.

L’exposition met intelligemment en valeur l’élaboration du langage plastique de Dufy, et particulièrement l’impact de son travail pour l’industrie textile sur son oeuvre. Le dialogue permanent entre création picturale et textile puis entre la toile et les grands décors sont clairement exposés. Travailler à la conception de tissus aura un effet libérateur sur Dufy, qui saura se détacher de ses premières influences fauves et impressionnistes et affirmer sa conception de la « couleur lumière ».

Raoul Dufy, les années folles au musée des Beaux-arts de Quimper jusqu’au 7 septembre.

Liste des oeuvres:

1) Vue de l’exposition
2) Marine, 1930
3) Mer et nuages, 1910
4) La fanfare du Havre, 1951
5) Le moulin de Terssac, 1947
6) Le phare d’Honfleur, 1929
7) Le cirque, 1935
8) L’amour, 1910
9) Robe La Perse, 1912
10) Roses stylisées, 1911
11) Robe les Arums, 1919
12) Robe
13) Robe de soirée, éléphants et guépards, 1920
14) Cornets d’arums et fleurs sur fond bleu, 1919
15) Composition aux fleurs et papillons sur fond rouge, 1920
16) Guerriers africains, 1925
17) Présentation de mode chez Schiaparelli, 1935
18) Le casino de la jetée, Nice, 1946
19) Paddock ou le polo de Bagatelle, 1920
20) La Fée électricité, 1953
21) Soleil sur la mer, 1926
22) Semis de pensée, 1928
23) Charrette aux tronçons de bois, 1943
24) Hommage à Raoul Dufy, Jean Cocteau, 1959
25) La fenêtre aux volets verts, sans date

Article rédigé par Amélie Hautemanière – Photos de l’auteur.

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