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Le musée Jacquemart André a été un des premiers à rouvrir ses portes à Paris, suite à la période de confinement. Par la même occasion, l’exposition consacrée au peintre britannique Joseph Mallord William Turner (1775-1851) a été prolongée jusqu’au début de l’année 2021.
Cette exposition réunit soixante aquarelles et dix peintures à l’huile de l’artiste. Toutes les oeuvres proviennent du fonds de la Tate Britain de Londres, qui abrite la plus grande collection de Turner au monde. En effet, le peintre a légué à la nation britannique sa maison, son atelier et l’ensemble des oeuvres qui y étaient conservées, ce qui représente plusieurs centaines de peintures, des milliers de dessins, de croquis et de carnets. Ces oeuvres ont rejoint les collections de la Tate lors de son ouverture en 1897. L’institution britannique conserve ainsi un ensemble considérable de Turner en termes de quantité, mais également de variété. Toutes les époques sont représentées, et surtout le fonds mêle oeuvres achevées destinées à la vente, études de compositions et esquisses expérimentales où nous percevons l’essence même de la révolution lumineuse de Turner.
Au regard de la production très riche de Turner, les espaces du musée Jacquemart André ne permettent pas de proposer une rétrospective à proprement parler. Cependant la sélection des oeuvres, présentée selon une logique chronologique, retrace l’évolution du trait de pinceau de Turner, de ses oeuvres de jeunesse, à celles de sa maturité.
Le musée nous propose un parcours en huit étapes, une pour chaque salle. La première partie de l’exposition présente les oeuvres de jeunesse du peintre. Elle nous rappelle par la même occasion sa formation : issu d’un milieu modeste, Turner se forme seul à la topographie et à la perspective. Il intègre la Royal Academy à 14 ans et travaille en parallèle pour plusieurs architectes, ce qui lui permet d’acquérir une grande maîtrise dans la représentation du bâti. La guerre contre la France ne lui permettant pas de voyager en Europe, il parcourt le Royaume-Uni, des plaines d’Angleterre aux sites patrimoniaux du Pays de Galles et d’Ecosse. Ces dessins et aquarelles de paysages nationaux en plein conflit revêtent un aspect patriotique et sont très vite recherchés par les collectionneurs.
La deuxième salle explore cette relation forte que Turner tisse avec les paysages. En 1802, la Paix d’Amiens signée entre le Royaume-Uni et la France, permet à Turner de parcourir l’Europe et notamment de s’aventurer dans les Alpes suisses. Il se confronte également aux collections de peintures du Louvre et y retrouve Claude Gellée Le Lorrain, un de ses peintres favoris, très présent dans les collections anglaises. Cependant la paix est de courte durée, et Turner doit renoncer au continent jusqu’à la défaite de Napoléon en 1815. Il répond alors à des commandes pour illustrer des ouvrages mettant en valeur les régions anglaises. Ces publications lui apportent une renommée importante, hors du cercle restreint des collectionneurs, et un revenu régulier. Celui-ci lui permet d’inaugurer une galerie personnelle à Londres, où il expose ses oeuvres. En 1807, il est nommé professeur de perspective à la Royal Academy. Turner se veut également théoricien et rédige un essai consacré aux natures de paysages, du paysage naturaliste au paysage idéal.
Après 1815 et avec la paix plus durable en Europe, il retourne sur le continent. Il multiplie les excursions, en privilégiant les régions montagneuses ou celles traversées par des cours d’eau importants. Les deux sections suivantes sont consacrées à ses nombreux voyages. Il se rend en Italie, tout d’abord et particulièrement à Rome, qui le marque durablement et le pousse à intensifier son traitement de la couleur et de la lumière. Puis il parcourt la France en suivant la Seine, le Luxembourg, l’Allemagne, les Pays-Bas… Il est de plus en plus sollicité pour illustrer des publications ou des livres de voyages. A partir de 1818, Turner est également chargé d’illustrer des recueils de poèmes. Il s’amuse à peindre à l’aquarelle et à la gouache sur des papiers teintés, mais il préfère dessiner au crayon sur le vif pour ajouter la couleur dans un second temps. Il fait alors appel à ses souvenirs pour rendre les effets colorés, mais il s’agit plus de retranscrire la sensation d’un paysage, le ressenti d’une atmosphère, l’impression d’un moment qu’une vue exacte. Cependant même si l’œuvre est peinte ou reprise dans le calme de l’atelier ou d’une chambre d’auberge, les sentiments d’immédiateté et de fugacité sont aussi présents que si Turner avait réalisé ces œuvres sous la pluie menaçante d’Ecosse ou face aux embruns normands.
L’aquarelle est la technique privilégiée du peintre britannique. Il sait la faire vibrer sur le papier et en faire surgir la lumière. Lorsqu’il veut faire des essais de couleurs ou de compositions, il se tourne vers ce médium. Ainsi il réalise des études en couleurs détaillées de même format que les projets aboutis. Il s’accorde sur ces feuilles une grande liberté, il ose utiliser des couleurs intenses appliquées en lavis en contrepoint de détails au rendu précis. De nombreuses feuilles de ce type ont été conservées, qui semblent faire le lien entre les esquisses prises sur le vif et des peintures à l’huile achevées. Cependant Turner les a apprécié pour elles-même et a souhaité les conserver. Notre regard contemporain ne manque pas de noter la modernité de ces compositions, voire leur radicalité.
La sixième partie de l’exposition insiste d’ailleurs sur l’audace des coloris de Turner en nous présentant sa palette et un cabinet à pigments.
Les deux dernières salles sont consacrées à la dernière décennie de la production de Turner et aux œuvres de la maturité. Il créé de plus en plus pour un cercle de collectionneurs et de mécènes qui le conforte dans ses audaces. Ne devant plus forcément illustrer des ouvrages, il dessine moins et ose plus dans ses peintures. Il effectue un dernier voyage en Italie et s’émerveille des interactions entre la lumière et les reflets de l’eau dans la lagune de Venise ; il s’amuse de voir l’architecture se dissoudre et se fondre dans l’eau. Il brouille les repères entre ciel, mer et architecture et laisse la couleur et la lumière recouvrir le papier sans points de repères.
Les éléments se mêlent définitivement dans ces oeuvres, que ce soit lors de ses dernières vacances dans les Alpes ou lors d’un séjour normand. Il épure au fur et à mesure les éléments pour se concentrer sur le ciel rejoignant la mer dans un halo de lumière. Dans ces dernières œuvres, le sensible prend définitivement le pas sur la figuration. La lumière, la couleur et les impressions atmosphériques deviennent les sujets de ses tableaux.
Le parcours chronologique de l’exposition nous permet d’appréhender très clairement et de manière quasi sensible cette aspiration vers la lumière. Au fur et à mesure des salles, nous sommes gagnés par l’éblouissement.
Si l’exposition nous permet de découvrir un Turner peintre officiel, qui répond à des commandes et illustre de nombreux ouvrages, elle fait la part belle à sa facette plus personnelle, celle du peintre qui expérimente et qui ose. Au fur et à mesure de ses voyages, on le voit prendre confiance, évoluer et s’aventurer plus loin dans le rendu de ses impressions.
Pour nous permettre de mieux saisir l’audace de Turner, le propos de l’exposition revient à plusieurs reprises sur la technique du peintre. Il est un des premiers à préférer utiliser une toile blanche et non pas sombre pour ses œuvres, il adopte très vite les innovations techniques de son temps comme les tubes métalliques ou le pigment jaune de chrome. Il atteint une maîtrise de l’aquarelle assez inédite, qui lui permet de jouer avec les effets de transparence de la matière, sans brouiller les couleurs, et d’insuffler ainsi une atmosphère si particulière dans ses paysages. Il saisit et sait rendre la beauté de l’éphémère et ils seront nombreux dans les générations suivantes à se réclamer de son héritage.
Turner, peintures et aquarelles, collections de la Tate au musée Jacquemart André jusqu’au 11 janvier 2021.
Modalités de visite:
Liste des œuvres:
1) Quai de Venise, Palais des Doges, 1844
2) Château de Caernarvon, nord du Pays de Galles, 1800
3) Honfleur, Normandie, vue de l’ouest, 1832
4) Coucher de soleil sur le parc depuis la terrasse de Petworth House, 1827
5) Pluie tombant sur la mer près de Boulogne, 1845
6) Le gros Horloge de Rouen, Normandie, 1832
7) Richmond Yorkshire, étude de couleur, 1797
8) Château de Kilgarren, Pembrokeshire, 1798
9) Vue des gorges de l’Avon, 1791
10) Lac de Nemi, 1827
11) Scarborough, 1825
12) Dinant, Bouvignes et Crèvecoeur, coucher de soleil, 1839
13) San Giorgio Maggiore- tôt le matin, 1819
14) Une villa, clair de lune pour l’Italie de Samuel Rogers, 1826
15) Banditti pour l’Italie de Samuel Rogers, 1826
16) Le glacier du Bois au dessus de Chamonix, 1836
17) Un paysage italianisant idéalisé avec des arbres au dessus d’un lac, 1828
18) Château de Bamburgh, Nothumberland, 1837
19) Venise, vue sur la lagune au coucher du soleil, 1840
20) Venise, la piazzetta avec la cérémonie du Doge épousant la mer, 1835,
21) Le lac Léman, avec la dent d’Oche au dessus de Lausanne, 1841
22) Reichenau et la Haut-Rhin, 1842
23) Coucher de soleil jaune, 1845
24) Yacht approchant de la côte, 1840
25) Mer agitée avec des dauphins, 1835
26) Venise, vue imaginaire depuis l’Arsenal, 1840
27) La visite de la tombe, 1850
Article rédigé par Amélie Hautemaniere – Photos de l’auteur.
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